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L’île où les filets tissent encore l’avenir

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Filets suspendus dans un atelier avec le lac d'Iseo en arrière-plan. Photo : (Alison Ramsey)

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Durée de lecture: 8 Min.

Sur Montisola, au cœur du lac d’Iseo, l’art séculaire du tissage de filets reste un pilier de la vie insulaire. De la pêche d’antan aux filets des Jeux olympiques d’hiver 2026, un savoir-faire ancestral continue d’unir tradition et modernité.
Les projecteurs du sport se braquent volontiers sur les athlètes, rarement sur l’équipement qui rend leurs exploits possibles. Pourtant, derrière chaque but, smash ou panier, une question mérite d’être posée : qui fabrique les filets ?
La réponse se trouve dans le pittoresque village de Monte Isola, une île-montagne émergeant du lac d’Iseo, dans la province lombarde de Brescia.

Monte Isola regroupe trois îles, dont la plus vaste, Montisola, concentre un savoir-faire artisanal unique : la fabrication de filets. Cet artisanat, essentiel à l’économie locale depuis des siècles, trouve son origine dans les gestes des femmes de pêcheurs, qui tissaient à la main les filets utilisés par leurs maris.

La qualité de ces filets déterminait directement celle des prises. Lorsque le tourisme a progressivement supplanté la pêche comme moteur économique, l’industrie du filet a su se réinventer. Elle s’est mécanisée tout en conservant sa réputation d’excellence, produisant aujourd’hui des filets résistants destinés au sport, à la sécurité ou encore au contrôle animalier.

Montisola, la plus grande île lacustre d’Europe, n’est accessible qu’en bateau : des ferries assurent la traversée toutes les vingt minutes environ. Avec ses 1700 habitants et son interdiction quasi totale de la circulation automobile — seuls le maire, le prêtre et le médecin bénéficient d’une dérogation —, le visiteur a le sentiment de remonter le temps, loin du vacarme et de la pollution. L’île se découvre aisément à pied, à vélo, en navette ou encore en longeant le rivage en bateau.
Sur la pointe sud de l’île, le long du chemin piétonnier et cyclable qui en fait le tour, se trouve Bresciareti, l’une des entreprises de filets les plus renommées de Montisola. Son propriétaire, le charismatique Paolo Archetti, explique que les premiers filets étaient tissés en soie, plus résistante à l’eau que le coton, trop lourd une fois imbibé.

C’est dans un couvent franciscain situé sur la petite île voisine de San Paolo, propriété depuis 1916 de la famille Beretta, célèbre pour sa production d’armes à feu, que les premiers moines auraient perfectionné cet art. Ils auraient ensuite transmis leur savoir-faire à des prisonniers vénitiens détenus sur Montisola, donnant ainsi naissance à une tradition insulaire toujours vivante aujourd’hui.

Paolo Archetti montre comment fabriquer des filets à Montisola, en Italie. (Alison Ramsey)

Le fil des femmes et la mémoire des filets

Sur l’île, ce sont les femmes qui détenaient le savoir-faire du tissage. Elles travaillaient à l’usine pendant la journée, puis poursuivaient leur ouvrage le soir à la maison, afin d’économiser pour leur dot. Les enfants, eux, avaient pour tâche de remplir les aiguilles en bois à deux pointes — spécialement conçues pour le tissage — de fil. Paolo Archetti souligne que des aiguilles de ce type ont également été retrouvées dans les ruines de Pompéi, témoignant d’une tradition artisanale millénaire.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise Bresciareti a été mobilisée pour produire des filets de camouflage. Le recrutement y obéissait à une logique pour le moins singulière : le propriétaire jetait une pelote de fil dans la cour, et ceux qui parvenaient à la rattraper décrochaient un emploi. Le métier était alors très convoité : fabriquer des filets pour l’effort de guerre permettait d’éviter l’enrôlement au front.

Au fil du temps, les usages se sont diversifiés. Les ateliers de Montisola ont produit des filets destinés à la chasse ou encore à la protection du Vatican contre les pigeons. En 2016, l’artiste Christo a lui aussi sollicité leur expertise pour son œuvre monumentale The Floating Piers. Cette passerelle flottante de trois kilomètres, faite de cubes en polyéthylène recouverts d’un tissu jaune-orangé chatoyant, reliait à pied la terre ferme de Sulzano à Montisola et à l’île de San Paolo.

Ouverte au public pendant seize jours, l’installation donnait aux visiteurs l’illusion de marcher sur l’eau. Pour protéger les murs de l’île du contact avec la structure flottante, l’entreprise Bresciareti avait spécialement conçu des filets de protection, démontés et recyclés après la fin du projet.

Aujourd’hui, les pièces les plus fines de l’entreprise sont encore réalisées à la main, selon la méthode traditionnelle : le fil, enroulé sur l’aiguille à deux pointes, est entrelacé autour d’une baguette de bois pour former le motif losangé caractéristique, que l’on retrouve dans les filets de basketball. Ces créations manuelles deviennent toutefois rares, la production mécanique s’avérant bien plus rapide et rentable.

Pour les commandes de grande taille, Paolo Archetti et son équipe travaillent comme des tailleurs : ils découpent, ajustent et finissent les filets après leur sortie de machine. Aujourd’hui, la demande principale vient du secteur sportif, mais l’entreprise produit également des filets de sécurité pour échafaudages et répond à des commandes sur mesure.

Dernière reconnaissance en date : l’entreprise Bresciareti a été choisie pour fabriquer les filets de hockey destinés aux Jeux olympiques d’hiver de Milan-Cortina 2026.

Un atelier-boutique où l’artisanat se dévoile

La boutique Bresciareti de Montisola constitue une halte incontournable pour les visiteurs en quête de souvenirs faits main et d’objets colorés. Sur ses étagères, les créations artisanales rivalisent de soin et d’inventivité : sacs tressés à la main avec doublure en toile imprimée, porte-bouteilles en bandoulière, porte-clés solides en fibre tressée, bracelets noués, magnets-souvenirs ou encore sphères de verre utilisées autrefois comme flotteurs de pêche, suspendues dans un délicat filet de corde.

Chaque pièce témoigne d’un savoir-faire méticuleux et d’une esthétique résolument maritime. Paolo Archetti confie qu’il faut environ trois heures pour tresser un hamac, vingt minutes pour un sac tissé et cinq minutes pour un filet de basketball.

Lors des Jeux olympiques d’hiver de Milan-Cortina 2026, il suffira de jeter un œil aux filets des cages de hockey pour se rappeler qu’ils sont nés sur cette paisible île-montagne du lac d’Iseo — fruit d’un artisanat insulaire qui, loin de disparaître, continue de tisser son histoire.

Cet aperçu du Rétificio Archetti Paolo offre aux voyageurs un nouvel indice sur la fabrication des célèbres filets de la région. (Alison Ramsey)

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