L’Europe de Rick Steves : le lion, le lac et les ponts de Lucerne

Couvert et orné de peintures, le pont de la Chapelle de Lucerne zigzague au-dessus de la Reuss.
Photo: Dominic Arizona Bonuccelli, Rick Steves’ Europe
Pour qui n’a jamais mis les pieds en Suisse, Lucerne – que l’on écrit aussi Luzern – offre une séduisante impression de « je pourrais vivre ici », tant l’art de vivre urbain y paraît unique et typiquement helvétique. Des autobus ponctuels et silencieux sillonnent la cité, des passerelles piétonnes enjambent une rivière cristalline, tandis que les bateaux de croisière glissent avec élégance sur les eaux du lac des Quatre-Cantons.
Au XIVᵉ siècle, le Pont de la Chapelle (Kapellbrücke) est édifié de manière singulière : il traverse la rivière en biais afin de relier les fortifications de la cité. Sous sa charpente sont suspendues une centaine de peintures hautes en couleur datant du XVIIᵉ siècle, illustrant des scènes historiques et religieuses. On y trouve des vues de Lucerne vers 1400, des portraits de ses deux saints patrons, ainsi que l’étrange figure d’un géant légendaire. Ce dernier remonte au Moyen Âge, lorsque des habitants prirent des ossements de mammouth fraîchement découverts pour des restes humains.
L’autre pont emblématique, le Pont des Moulins (Spreuerbrücke), recèle lui aussi de précieuses peintures du XVIIᵉ siècle. Le fameux géant y réapparaît, encadré par les bannières bleu et blanc de la ville et du canton, placées sous le double aigle du Saint-Empire romain germanique — rappel du statut de cité libre accordé par l’empereur. À l’envers, le visiteur découvre le Jour du Jugement, une vision de la fin des temps, avec les âmes promises tantôt au paradis, tantôt à l’enfer.
Malgré l’afflux régulier de groupes de touristes, un instant de calme ici émeut profondément. On y voit un lion majestueux, appuyé sur un bouclier, la tête penchée, des larmes roulant sur son mufle. Dans son flanc, le fragment d’une lance, qui l’achève lentement. Le sculpteur a subtilement aligné l’arme brisée aux stries de la roche, comme pour suggérer une pluie de projectiles s’abattant sur l’animal. Cette figure poignante rend hommage aux mercenaires suisses morts ou exécutés en défendant le roi de France pendant la Révolution française. Une inscription latine sculpte la mémoire : Helvetiorum fidei ac virtuti — « À la fidélité et au courage des Suisses ».
L’une des plus belles manières d’appréhender Lucerne reste toutefois le bateau. Le lac des Quatre-Cantons, avec ses 114 km², déploie à chaque recoin un nouveau cadrage de cimes déchiquetées et de collines verdoyantes, dont les reflets turquoise varient au gré de la lumière. Trente-cinq escales jalonnent ses lignes régulières : de la courte boucle d’une heure autour du « port » de Lucerne jusqu’à la croisière complète de six heures vers l’extrémité du lac. Certaines traversées se muent en dîners ou en circuits touristiques, mais la plupart fonctionnent à la manière d’un réseau de transport, permettant de débarquer, visiter, puis reprendre un autre bateau. Les esprits romantiques privilégieront les majestueux bateaux à aubes, témoins d’une autre époque.
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