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Les piliers du contrôle étatique en Chine : de la mobilisation de masse à l’identifiant numérique

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Une assiette décorative représentant le dirigeant suprême de la Chine, Xi Jinping, dans une boutique de souvenirs à côté de la place Tian'anmen à Pékin.

Photo: Greg Baker/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 12 Min.

Alors que la Chine cherche inlassablement à étendre sa sphère d’influence géopolitique, le régime s’emploie à mettre en place un État de surveillance complet sur son territoire. Un nouveau rapport de l’Institut Mercator d’études chinoises (Mercator Institute for China Studies, MERICS), basé à Berlin, apporte une pièce au puzzle et nous en dit davantage sur les aspects les moins visibles du système de surveillance.
Surveillance et contrôle : fusion des méthodes de l’ère maoïste et des technologies modernes
Le Parti communiste perfectionne sans cesse ses outils de contrôle. Sous Xi Jinping, l’appareil d’État conjugue méthodes traditionnelles héritées de l’ère maoïste et progrès technologique dans leur forme la plus dystopique.
L’institut MERICS, centre de recherche privé spécialisé dans l’étude de la Chine contemporaine et de ses répercussions globales — notamment en Europe — consacre son dernier rapport aux stratégies mises en œuvre pour ancrer plus profondément l’idéologie du Parti dans la société.
Des comités de village de Mao au dispositif Skynet
Très tôt après la fondation de la République populaire en 1949, Mao Zedong a structuré un appareil de contrôle complet qui comprenait au niveau le plus bas des comités de quartier et de village conçus pour que la population se surveille mutuellement, sous la supervision d’instances administratives supérieures.
La gestion « par grille », une nouvelle administration, est venue s’ajouter il y a quelques années comme interface entre ces niveaux de surveillance. Les « manageurs de grille » jouent un rôle comparable à celui d’un responsable de section de la police populaire dans l’ancien système est-allemand.
Pour surveiller le pays et sa population, le Parti s’appuie non seulement sur des agences établies — police, police secrète, ministères de la Sécurité d’État et de la Sécurité publique, ou le redouté bureau 610, proche de la Gestapo, chargé de la répression du Falun Gong — mais mise de plus en plus sur la surveillance numérique, le traitement massif de données et l’intelligence artificielle.
Depuis 2005, le système Skynet a constitué une superstructure technologique de plus de 700 millions de caméras de surveillance. Grâce à lui, les autorités peuvent identifier, surveiller et traquer des individus grâce à la reconnaissance faciale et même à leur démarche, principalement en zone urbaine. Le nom de Skynet rappelle le monstre d’IA autonome des films américains Terminator, populaires en Chine — une référence inquiétante que certains experts estiment délibérée.
Faire de chacun un surveillant
Avec le système de surveillance « Sharp Eyes » (lancé en 2016), Xi Jinping et le Parti comblent une lacune : l’œil qui voit tout de Pékin s’étend désormais jusque dans les zones rurales. « Sharp Eyes » (« Yeux perçants ») n’est pas un simple système technique de surveillance.
Il intègre la population locale au dispositif de surveillance de l’État : n’importe qui peut devenir surveillant, et la société est encouragée à s’auto-surveiller. Selon l’agence officielle Xinhua, « Sharp Eyes » lutte contre la criminalité, préserve l’ordre public et renforce continuellement le sentiment de sécurité des citoyens.
Le dispositif agrège caméras publiques, commerciales et privées. Reliées aux autorités, elles sont aussi accessibles aux habitants via la télévision : les citoyens peuvent surveiller leur voisinage et signaler observations et comportements via la télécommande ou une application policière. Ainsi, « Sharp Eyes » fonctionne comme un bras social et communautaire de la surveillance, prolongeant de manière numérique les comités de voisinage instaurés depuis 1949.
L’État connaît ses citoyens mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes
Ce système de contrôle et de surveillance totale comprend également le « système de crédit social » lancé en 2014, un réseau complexe de réglementations visant à contrôler, analyser, évaluer et classer les citoyens et les entreprises.
Pour que les Chinois se sentent en sécurité, ils sont également protégés autant que possible des influences occidentales sur Internet – et simultanément surveillés. Le « Bouclier d’or » – le Grand Pare-feu de la Chine – « protège » les Chinois des connaissances gênantes depuis 2003 en empêchant les internautes de visiter de nombreux sites Web étrangers jugés indésirables.
Une nouveauté dans le domaine de la surveillance : l’identification numérique sur Internet
Les internautes doivent fournir adresse IP, nom réel, scan facial et autres données personnelles ; ces informations sont centralisées et corrélées à d’autres éléments (big data). Alors que jusque-là des sociétés internet assuraient souvent cette identification, l’État en prend désormais le contrôle. Ces empreintes numériques incluent le comportement d’achat, les préférences, les faiblesses, les contacts sociaux, la localisation et les habitudes de déplacement — et bien sûr les commentaires politiques et les recherches en ligne.
La digitalisation débute « sur une base volontaire » afin de réduire les résistances initiales et d’habituer la population à cette technologie, avant de la rendre éventuellement obligatoire.
Lao Dongyan, professeure de droit à l’université Tsinghua, écrivait dans un post Internet – ensuite supprimé – en août 2024, lors de l’annonce de la cyber-identité : le véritable but […] serait « de contrôler le comportement en ligne des gens », sous le prétexte de protection des informations. « Le système d’identification en réseau équivaut à installer un dispositif de surveillance du comportement en ligne de chacun », affirmait-elle. « Toutes les traces numériques, y compris l’historique de navigation, peuvent être facilement collectées. »
Mobilisation des masses
Le rapport MERICS apporte une pièce importante au tableau global du contrôle exercé par le Parti communiste chinois sur le pays et sa population.
Financée en partie par l’Union européenne, l’étude, intitulée « Servir le peuple en le contrôlant : comment le Parti récupère son influence sur la vie quotidienne », examine la stratégie de Xi Jinping visant à renforcer la présence du Parti à la base de la société chinoise.
Le régime emploie, entre autres, un nouveau modèle de gouvernance sociale qui combine mobilisation de masse et surveillance numérique, faisant du « bouc » le jardinier de la société.
Dans la métaphore du jardinier, l’État choisit ce qui peut pousser (les comportements et idées souhaités), l’arrose et le fertilise, tandis que l’« herbe indésirable » (opinions et comportements non conformes) est extirpée pour ne pas gêner la croissance des éléments « souhaitables ».
Cette gouvernance sociale associe mobilisation maoïste, technologies de surveillance et fourniture de services pilotés par le Parti, écrivent les auteurs : « Il ne s’agit pas seulement de répression, mais de modeler la société pour qu’elle intègre les normes du Parti communiste chinois (PCC). »
Comme l’ont constaté les auteurs du MERICS dans leur analyse, le régime supervise désormais un « appareil d’État-Parti plus vaste, mieux organisé et doté de plus de ressources que jamais auparavant » — Xi Jinping poursuit son œuvre pour « étendre davantage la présence du PCC dans les entreprises privées, les communautés urbaines et les villages ».
Un ensemble d’institutions telles que le Département central du travail de la Société, créé en 2023, vise à promouvoir l’hégémonie du Parti dans la société et lui donner accès dans de nouveaux secteurs de l’économie, du monde du travail et des organisations bénévoles « qui étaient auparavant hors de sa portée ».
« La modernisation de la gouvernance sociale par l’État-parti fusionne l’amélioration des services sociaux avec un renforcement du contrôle politique. »
Xi Jinping ranime les spectres de la Révolution culturelle
Le rapport souligne aussi le renforcement de l’éducation politico-idéologique visant à prévenir « la pluralité des opinions politiques et les initiatives d’auto-organisation ». Au niveau local, « les efforts de construction du Parti, les campagnes patriotiques et le contrôle politique » convergent pour mobiliser fonctionnaires, citoyens, entrepreneurs et jeunesse autour d’une « vision définie par le Parti » pour la société chinoise.
Le rapport du MERICS relève que « d’énormes ressources sont investies pour façonner la société et étendre la surveillance populaire ». Le système s’appuie sur des méthodes éprouvées, comme l’expérience de Fengqiao, au début des années 1960, une méthode de « rééducation » des soi-disant « ennemis de classe » au sein de la population locale, au moyen de sessions publiques de lutte.
Xi Jinping a ravivé ce mécanisme dès 2013. Le magazine en ligne Bitter Winter, spécialisé sur la liberté religieuse et les droits de l’homme en Chine, a averti que la réactivation de ces techniques de la Révolution culturelle « dresse les masses contre les masses, frère contre frère, foi contre foi ». La promotion de l’expérience de Fengqiao a suscité une forte inquiétude chez des personnes portant la mémoire historique de ces pratiques, « parce qu’elle réveille les fantômes de la Révolution culturelle », avait-t-il prévenu.
Conclusion du MERICS sur la nouvelle approche de gouvernance
Comme l’écrit le MERICS, la nouvelle approche de gouvernance du régime vise à « garantir la préparation de la société chinoise au combat ».
Une stratégie combinant soin, persuasion idéologique et coercition s’est avérée efficace pour contenir la fragmentation sociale et le dissensus. Mais elle reste exigeante et coûteuse.
« L’implication de l’ensemble de la société nécessite des ressources humaines considérables et ne garantit pas une adhésion ou un engagement absolus. Malgré la diminution des finances publiques, le Parti doit continuer à apporter des bénéfices tangibles, en particulier pour les jeunes générations. »
Reste la question non résolue : que se passera‑t‑il si, en raison de contraintes économiques et financières, le régime n’est plus en mesure de tenir ses promesses ?

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.