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Le piège du « marché technologique » chinois engendre corruption et perte de propriété intellectuelle pour les entreprises occidentales, avertit un initié

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Des puces de Tsinghua Unigroup sont présentées lors de la Conférence mondiale sur les semi-conducteurs 2020 à Nanjing, dans la province chinoise du Jiangsu (est), le 26 août 2020.

Photo: STR/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 14 Min.

Lorsqu’un tribunal de Pékin a condamné à mort avec sursis l’ancien président de Tsinghua Unigroup, Zhao Weiguo, en mai dernier, il a fait plus que faire tomber un magnat de la technologie, milliardaire et autrefois encensé.
Il a montré comment l’entreprise phare chinoise dans le domaine des puces s’est transformée en une véritable chasse au pillage et, selon un informateur, il s’agit d’une mise en garde pour toutes les entreprises occidentales qui courtisent encore le marché de la Chine continentale.
Dans une interview exclusive accordée à Epoch Times, Hsueh Tsung-chih, un chef des achats chevronné que M. Zhao avait débauché de Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), a déclaré que l’effondrement d’Unigroup faisait suite à une stratégie bien connue du Parti communiste chinois (PCC) : promettre l’accès au marché, exiger la technologie et laisser les intermédiaires politiquement connectés écrémer les profits.
« Travailler avec eux, c’est comme boire du poison pour étancher sa soif », a-t-il déclaré à Epoch Times.
Pendant trois décennies, ajoutent les analystes, Pékin a attiré les entreprises étrangères en leur donnant accès au deuxième plus grand marché mondial, puis a utilisé des quotas de coentreprises très stricts, des décisions de justice en matière de brevets et d’importantes subventions industrielles pour siphonner leur technologie et la faire passer entre les mains des Chinois.
Des automobiles aux semi-conducteurs en passant par les aimants aux terres rares, disent-ils, un partenariat avec la Chine peut effacer des années d’avantages durement acquis.
Du champion national à la faillite
Unigroup a été fondée en 1988 en tant qu’entreprise industrielle et universitaire sous l’égide de l’Université Tsinghua de Pékin.
Lorsque M. Zhao a pris les rênes de l’entreprise en 2009, ses plans d’expansion s’alignaient parfaitement sur les efforts de Pékin pour atteindre l’autosuffisance en semi-conducteurs.
Cette initiative s’est concrétisée en 2014, lorsque le régime a lancé le Fonds national d’investissement pour l’industrie des circuits intégrés – connu sous le nom de « Grand Fonds » – injectant 138,7 milliards de yuans (environ 16,5 milliards d’euros) au profit des fabricants de puces nationaux et ajoutant 204 milliards de yuans supplémentaires (environ 24 milliards d’euros) 5 ans plus tard.
Fort du soutien de l’État, M. Zhao s’est vanté de son intention d’acquérir des parts dans TSMC, le leader mondial de la fonderie de puces électroniques, et de le fusionner avec le taïwanais MediaTek. Ces transactions n’ont jamais eu lieu, mais Unigroup s’est lancé dans une frénésie d’achats : acquisition du français Linxens, des chinois Spreadtrum et RDA Microelectronics, ainsi que de participations dans plusieurs autres entreprises de semi-conducteurs, tout en recrutant des talents dans le monde entier.
M. Hsueh faisait partie de ces recrues. En 2016, les filiales de puces mémoire d’Unigroup – Yangtze Memory Technologies (YMTC) et Wuhan Xinxin Semiconductor Manufacturing (XMC) – ont offert à ce cadre de longue date de TSMC un salaire d’un million de dollars, un chauffeur, une secrétaire et des voyages en classe affaires.
« Ils ne marchandaient pas pour l’argent », a déclaré M. Hsueh à Epoch Times. « Qui ne serait pas tenté ? »
La brillance s’est vite estompée.
Deux ans plus tard, Hsueh a démissionné, qualifiant Unigroup de « société pleine de corruption ».
Comment l’argent a été gagné – et perdu
M. Hsueh a expliqué que M. Zhao l’avait recruté après avoir renvoyé un responsable des achats qu’il qualifiait de « trop corrompu ». Pourtant, le cercle intime de M. Zhao s’est très vite révélé pire.
M. Hsueh a rapidement découvert que les listes de fournisseurs étaient triées sur le volet par la petite amie et les amis de M. Zhao, violant ainsi toutes les règles d’appel d’offres.
Un outil de métrologie KLA destiné à la fabrication de puces était coté bien au-dessus du prix du marché jusqu’à ce qu’un seul appel de M. Hsueh le fasse diminuer de millions.
Dans une autre transaction, « ils ont déboursé 2,1 milliards de yuans (environ 250 millions d’euros) pour acquérir une entreprise valant 900 millions de yuans (environ 107 millions d’euros) », se souvient-il. « Personne n’a osé demander où était passé le surplus. »
Pour obtenir un contrat, a-t-il ajouté, les vendeurs devaient d’abord acheter deux appartements dans un complexe géré par la petite amie de M. Zhao – « une remise déguisée ».
Lorsque M. Hsueh a demandé comment Unigroup rembourserait ses prêts d’État à taux d’intérêt élevé, M. Zhao a haussé les épaules : « Vous ne vous souciez de l’argent que si vous prévoyez de le rembourser. »
L’aveu le plus direct de M. Zhao est venu lors d’une conversation privée.
Il a comparé les subventions de l’État à la légendaire « viande du moine » de la légende chinoise, censée conférer l’immortalité et irrésistible pour toute personne passant par là.
« Si je ne les prends pas aujourd’hui, quelqu’un d’autre les prendra demain », a-t-il dit à M. Hsueh.
Ces mots ont scellé la décision de M. Hsueh de démissionner.
La frénésie de dépenses s’est soldée par un défaut de paiement : Unigroup a manqué des paiements d’obligations en 2020, a déposé le bilan en 2021 et a été racheté par Zhiguangxin, contrôlé par l’État, en 2022. Le Big Fund lui-même s’est effondré, les dirigeants Lu Jun et Ding Wenwu ayant été arrêtés en 2022.
En mai de cette année, le tribunal a jugé que M. Zhao avait détourné plus de 470 millions de yuans (environ 56 millions d’euros) et imposé au régime des pertes dépassant 890 millions de yuans (environ 106 millions d’euros).
Une tactique qui va bien au-delà des puces
Les analystes estiment que l’effondrement d’Unigroup révèle un problème plus profond : le modèle de Pékin en matière de « marché de la technologie » privilégie l’appropriation rapide au détriment de l’éthique commerciale de base ou de la compétence à long terme.
Cette tactique a pris forme pour la première fois dans les années 1990, lorsque les autorités ont plafonné à 50 % la participation étrangère dans le traitement des terres rares, a expliqué Lan Shu, analyste des affaires chinoises basé aux États-Unis, commentateur politique de haut niveau et ancien animateur de Sound of Hope TV, un réseau international de diffusion en langue chinoise.
Après que les entreprises nationales ont absorbé des méthodes propriétaires et se sont emparées d’environ 70 % de l’approvisionnement mondial, les régulateurs ont qualifié la technologie de secret d’État et ont interdit tout nouvel investissement étranger, a-t-il indiqué à Epoch Times.
Aujourd’hui, le même levier est utilisé dans l’autre sens.
Les acheteurs étrangers d’aimants chinois en terres rares sont désormais tenus de divulguer des informations sensibles sur la propriété intellectuelle ou des détails sur les accords commerciaux avant que les permis d’exportation ne soient délivrés, a déclaré M. Lan, citant un rapport du Wall Street Journal.
Il a ajouté que les tribunaux locaux invalident régulièrement les brevets étrangers et que les régulateurs placent des fonctionnaires dans les usines étrangères pour observer les processus exclusifs.
Lorsque le japonais Sharp a poursuivi le chinois Oppo pour violation de brevet au Japon et en Allemagne, Oppo a répliqué en intentant une contre-action à Shenzhen. En 2021, un tribunal de Shenzhen a émis une injonction anti-poursuite internationale, menaçant Sharp d’une amende d’un million de yuans par semaine s’il n’abandonnait pas les poursuites à l’étranger.
La Chine utilise un système bifurqué : l’invalidation des brevets est jugée séparément de la contrefaçon. Rien qu’en 2020, les tribunaux ont traité plus de 7100 affaires d’invalidation, selon IP Key, un pont européen sur la politique de propriété intellectuelle. Des estimations non officielles suggèrent qu’environ 60 % des brevets, dont beaucoup appartiennent à des entreprises étrangères, ont été déclarés invalides.
M. Hsueh a souligné que les entreprises chinoises ignorent souvent les normes et l’éthique du marché, procèdent à une rétro-ingénierie des technologies étrangères, puis inondent le marché de contrefaçons bon marché qui évincent les originaux.
Les règles relatives aux coentreprises amplifient la pression.
Jusqu’en 2022, les constructeurs automobiles étrangers ne pouvaient pas opérer en Chine sans céder au moins 50 % de leur propriété à un partenaire national, obligeant des entreprises comme Volkswagen et General Motors à partager leurs conceptions et leur R&D (Recherche et Développement), selon un rapport de 2020 du China Institute de l’Université de l’Alberta.
En 2015, les autorités chinoises ont ordonné à Hewlett Packard (HP) de vendre 51 % de ses activités en Chine à Tsinghua Holdings ou de se retirer du pays. HP s’est conformé à cette exigence et a reçu 2,3 milliards de dollars pour la vente, mais a perdu le contrôle de son marché chinois et a été contraint de partager sa technologie et ses opérations avec son partenaire local, selon le rapport.
Cisco, Microsoft et d’autres ont conclu des accords similaires pour rester sur le marché.
Une commission d’examen économique et de sécurité sino-américaine de 2019 a confirmé que dans les secteurs stratégiques (télécommunications, semi-conducteurs et aéronautique), les entreprises occidentales étaient souvent contraintes, explicitement ou implicitement, de créer des coentreprises détenues majoritairement par des Chinois comme prix d’entrée.
Les subventions industrielles alimentent les caisses
Une étude de 2024 de l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale a estimé le soutien de l’État chinois à près de 221 milliards d’euros en 2019, soit trois à neuf fois la moyenne de l’UE ou de l’OCDE en pourcentage du PIB. Elle souligne également que 99 % des entreprises cotées en Chine ont bénéficié de subventions publiques directes en 2022.
En outre, les subventions cachées, telles que les réductions d’impôts, dépassent souvent les montants fournis par les subventions directes : le constructeur de véhicules électriques BYD a reçu plus d’1,1 milliard d’euros de subventions, mais près de 4,3 milliards d’euros de réductions entre 2013 et 2023 ; le géant de l’affichage BOE a collecté près de 7 milliards d’euros de remboursements de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en 5 ans.
Tentation contre risque
M. Lan voit la balance pencher.
L’effondrement du marché immobilier et la baisse de la demande des consommateurs ont terni l’image du marché chinois, a-t-il expliqué, mais le mécanisme qui échange l’accès contre la technologie reste intact.
« Une fois que vous mordez à l’hameçon du PCC, vous perdez toujours plus que vous ne gagnez », a-t-il averti.
Pour de nombreuses entreprises étrangères, le dilemme persiste, a-t-il ajouté. Si vous laissez la Chine de côté, vos concurrents pourraient prendre le dessus en termes de volume. Si vous vous lancez, la propriété intellectuelle durement acquise peut disparaître du jour au lendemain.
Malgré cela, des dirigeants de haut niveau comme Jensen Huang de Nvidia et Tim Cook d’Apple continuent de se rendre en Chine, a indiqué M. Hseuh, ce qui prouve que les ventes à court terme peuvent l’emporter sur les préoccupations stratégiques.
M. Hsueh a choisi une voie différente. Après avoir quitté Unigroup, il a créé une start-up qu’il qualifie de « 100 % non chinoise », c’est-à-dire sans investisseurs, fournisseurs, clients et facturation en yuans chinois.
« Je n’échangerai pas dix ans de croissance contre deux ans de gains rapides », a-t-il déclaré. Pourtant, il admet que l’attrait reste fort. « Ils font en trois ans ce qui nous prend quinze ans. Il est presque impossible de ne pas être tenté, mais ça se termine toujours mal. »
Son conseil aux investisseurs étrangers qui envisagent de s’installer en Chine continentale : « Serrez les dents et décidez par vous-même. »
Cheng Mulan et Fei Zhen ont contribué à la rédaction de cet article.