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Le courage, une ressource en voie de disparition

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Le courage peut consister à dire simplement non, à contre-courant, sans même avoir la certitude d’être entendu.

Photo: Crédit photo Markus Langemann/iStock/tomertu/Montage : Epoch Times

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Durée de lecture: 7 Min.

« Courage » — aujourd’hui ce mot résonne comme un outil rouillé, oublié trop longtemps sous la pluie. Sa sonorité est devenue terne, son poids insignifiant. Et pourtant : prononcer ce mot évoque une époque où le courage n’était pas décoratif mais existentiel.
À l’origine, le « courage » signifiait ne pas choisir la voie la plus sûre. C’était accepter des risques, prévoir des pertes, reconnaître sa propre vulnérabilité. Le courage exige d’être prêt à souffrir soi‑même. Celui qui ne calcule que la manière dont il peut s’en sortir indemne est déjà en train de battre en retraite.

L’annulation — la « Cancel culture » — un acte hostile à la culture

Notre époque connaît un autre vocabulaire. On parle du « cancel », un mot qui sonne comme une commande technique et qui pourtant relève d’un acte profondément hostile à la culture.
Il n’y a pas de discussion, on éteint tout simplement. Artistes, auteurs, chercheurs ne disparaissent pas à cause de leurs œuvres mais du fait d’une culpabilité par association : ils ont parlé aux mauvaises personnes, été présents aux mauvais endroits, posé les mauvaises questions. S’instaure ainsi une atmosphère où l’on ne prend plus le risque de s’exprimer, et où le silence devient assurance-vie.
Et ce ne sont pas seulement des célébrités qui en pâtissent. Ce sont de nombreux anonymes qui, au quotidien, au travail, dans la sphère privée, découvrent ce que signifie apporter un point de vue différent.
Une photographe indépendante m’a raconté qu’au plus fort de la période du Covid, elle avait eu le courage d’avancer des arguments qu’elle jugeait valables : elle s’était présentée à ses rendez‑vous sans masque chirurgical, ne montrait pas de justificatif de vaccination — et elle a tout perdu. Des clients qui l’avaient autrefois courtisée l’ont punie : plus de commandes, plus de revenus. Elle n’a revu personne depuis. Finalement, alors qu’elle était auparavant très demandée et avait beaucoup de succès, elle a dû abandonner complètement son métier. Avec mélancolie elle m’a confié : « La photographie me manque. » Aujourd’hui elle enseigne aux enfants. Pas par vocation, mais pour survivre.

Être ferme : ne pas renoncer à ses principes

Ces histoires sont rarement racontées, et pourtant nombreuses. Elles témoignent que le courage au quotidien n’a pas besoin d’un geste héroïque : il suffit de la fermeté de ne pas céder, même au prix fort.
Dans la rue se manifeste en revanche l’inverse : non pas une retenue lâche, mais une brutalité crue. La violence augmente — dans le poing, le regard, la parole ; dans le métro, sur les places, dans les classes.
On pourrait penser que le courage y trouve son ultime refuge : oser intervenir, prendre parti pour le plus faible. Mais là aussi, l’évitement domine, le regard fuyant, l’attention rivée à l’écran. Le courage civique devient une exception, un cas moral exceptionnel.
Mais la véritable perte se produit à petite échelle. Là où exprimer une opinion divergente du consensus devrait déjà être considéré comme courageux. Là où les personnes qui veulent affirmer leur point de vue n’ont plus le sentiment de pouvoir le faire sans être ostracisées par la société. Si même dans la sphère privée, le mot prudent est déjà considéré comme un risque, alors le silence n’est plus de la réserve, mais de la capitulation.

Une société qui s’autorégule

Le courage, c’était aussi la disposition à mettre en jeu sa réputation. Ceux qui s’exposaient savaient qu’ils s’attireraient des critiques. Aujourd’hui la peur du blâme public paraît plus forte que le désir d’être soi-même. On se protège de l’indignation d’autrui avant d’avoir formulé sa propre pensée. Résultat : une société qui s’autorégule en ne laissant plus aucune place à la différence.
On objectera peut‑être qu’il faut envisager le courage autrement aujourd’hui. Pas seulement comme soulèvement héroïque, pas seulement comme le pathos du grand geste. S’agit-il peut-être de « l’intelligence du sentiment mitigé », comme l’a un jour décrit Roger Willemsen ?

Le courage peut être discret

Appliqué à notre époque, cela signifie que le courage peut aussi être discret. Il n’a pas à rugir, il peut chuchoter. Il peut consister en un simple non, prononcé contre le courant, sans accompagnement, sans micro, sans assurance d’être entendu.
Ce courage n’est pas spectaculaire. Il ne recherche pas la une, il n’a pas besoin de caméras. Il existe dans les conversations privées, dans les pensées dissidentes, dans la résistance à la pression de la conformité. C’est la courage de la persévérance  — de ne pas oublier, de continuer à poser des questions. Peut‑être est‑ce la dernière forme de bravoure qui nous reste.
Car les sociétés ne meurent pas en premier lieu à cause de la violence. Elles meurent à cause de la peur que plus personne ne conteste. Elles meurent lorsque les exclus se taisent, lorsque la curiosité est refoulée, lorsque la différence devient suspecte. Elles meurent lorsque le courage – ce mot ancien – ne sonne plus que comme une relique.
Et peut-être, faut-il ajouter, que ce n’est pas seulement la société qui meurt avec lui. L’individu qui n’ose plus se faire confiance meurt aussi. Celui qui se tait ne perd pas seulement sa voix. Il se perd lui-même.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Markus Langemann, publiciste, a fondé sa première entreprise médiatique pendant ses études de journalisme à l'université Ludwig-Maximilian de Munich. Il a ensuite créé des stations de radio et de télévision en Allemagne et à l'étranger, enseigné dans des académies des médias et mis en place des innovations qui ont établi des normes dans le secteur. Depuis 2020, ce gestionnaire de médias et journaliste est l'éditeur du « Club der klaren Worte » (Club des mots clairs). Il s'efforce de promouvoir l'indépendance journalistique, l'honnêteté intellectuelle et la profondeur du contenu.

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