Opinion
La véritable « carte maîtresse » de Donald Trump pour l’Ukraine, c’est le renseignement
Les détails du plan de paix en 28 points pour l'Ukraine et la Russie qui a fuité la semaine dernière et les dernières informations communiquées cette semaine par la Maison Blanche nous en apprennent beaucoup sur la perception qu'a le président Donald Trump de la situation dans cette guerre.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président américain Donald Trump lors d’une réunion dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, à Washington, le 18 août 2025.
Photo: Mandel Ngan/AFP via Getty Images
Le calendrier de cette nouvelle séquence de négociations, engagée fin octobre, semble largement dicté par l’affaiblissement des forces ukrainiennes sur plusieurs segments clés de la ligne de front et par l’accélération des gains territoriaux russes.
Le fait que l’administration Trump ait choisi de prioriser la négociation de cet accord plutôt que de pousser sans tarder le train de sanctions porté par les sénateurs Lindsey Graham (républicain, Caroline du Sud) et Richard Blumenthal (démocrate, Connecticut) donne à penser que le président doute fortement de l’efficacité, à court terme, de sanctions supplémentaires – au prix de l’aliénation de partenaires géopolitiques précieux comme l’Inde – pour enrayer les succès militaires de Moscou.
Deux récits radicalement opposés
La manière dont chacun juge l’ébauche, encore en évolution, du plan de paix américain dépend presque entièrement du récit auquel il adhère.
Le « premier récit » considère que la Russie porte l’entière responsabilité du conflit, que les États-Unis et l’OTAN n’y ont joué aucun rôle causal, que Moscou a subi des pertes catastrophiques en hommes et en matériel, et que son économie plie enfin sous le poids de plus de 24.000 sanctions. Dans cette optique, le plan divulgué tient de la capitulation pure et simple : une défaite arrachée aux mâchoires d’une victoire encore possible que de nouvelles sanctions secondaires pourraient, croit‑on, sceller.
Le « deuxième récit », que partage l’auteur, part d’un constat plus sobre : dans une guerre d’attrition à l’état pur, le camp qui dispose de beaucoup plus de soldats, d’artillerie, de munitions, de missiles, de drones, de moyens de guerre électronique, de la plus vaste base militaro‑industrielle et d’une économie loin de l’effondrement a toutes les chances de l’emporter. Si l’on admet cette réalité, l’urgence est d’arracher le plus rapidement possible un accord de paix pour éviter que l’Ukraine ne continue de perdre, semaine après semaine, des vies et du territoire.
Le vice‑président JD Vance se range clairement dans ce deuxième camp :
« Il existe une illusion selon laquelle, si nous donnons simplement plus d’argent, plus d’armes ou plus de sanctions, la victoire serait à portée de main », a‑t‑il déclaré le 21 novembre dans un message sur X. « La paix ne sera pas conclue par des diplomates ou des politiciens qui vivent dans un monde imaginaire. Elle le sera peut‑être par des hommes lucides, ancrés dans le réel. »
D’où vient la position de Trump ?
Si certains propos tenus par Donald Trump dans le passé ont pu être interprétés comme une forme de sympathie pour le premier récit, la rapidité, la vigueur et surtout le contenu des négociations actuelles – en particulier le plan en 28 points – l’alignent sans ambiguïté sur une lecture de type « deuxième récit ». Les déclarations antérieures qui semblaient épouser le premier récit relevaient manifestement moins de convictions idéologiques que de sa frustration face au refus des deux camps de faire des concessions à ses offres de médiation.
Trump l’a formulé très clairement lors d’une interview accordée le 19 février à Brian Kilmeade :
« J’observe cet homme Zelensky depuis des années… et je le vois négocier sans aucune carte en main. Il n’a aucune carte. Et à la longue, cela vous épuise – vraiment, cela vous épuise. »
Dans ce même entretien, Donald Trump insiste sur le fait que la guerre n’aurait jamais éclaté sous sa présidence, parce qu’il ne se serait pas entêté, comme Joe Biden, à maintenir une porte grande ouverte à une future adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, et qu’il aurait pris au sérieux la « ligne rouge » de longue date brandie par la Russie sur ce dossier. Il dit ne douter ni de la capacité ni de la volonté de Moscou d’atteindre ses objectifs territoriaux par la force si aucun compromis n’est trouvé. Dans un autre entretien accordé le 20 novembre à Brian Kilmeade, il réaffirme sa conviction que la Russie continuera de gagner du terrain.
Ces deux entretiens, ajoutés à d’autres déclarations faites au fil du conflit et aux décisions récentes, le placent résolument dans le camp du « deuxième récit ».
Ils révèlent toutefois une tension essentielle. Tout en soutenant le président, Brian Kilmeade manifeste une inquiétude largement partagée : celle d’une Russie subissant des pertes écrasantes et qui, si elle n’est pas stoppée en Ukraine, menace directement les pays baltes.
Donald Trump n’est pas d’accord : selon lui, Vladimir Poutine « ne cherche pas une guerre plus vaste ». C’est un point déterminant, car Brian Kilmeade met des mots sur ce qui reste le principal obstacle à un accord de paix : la conviction, majoritaire au sein des élites occidentales de la politique étrangère, que la Russie est au bord de la défaite et demeure une menace existentielle pour l’Europe.
La carte maîtresse : couper le renseignement américain pour forcer la paix
Parler de « vents contraires » pour décrire les obstacles auxquels se heurte le plan de paix de Donald Trump relève presque de l’euphémisme. Et pourtant, il détient un atout décisif que personne d’autre ne peut abattre : la coupure immédiate et totale des renseignements et données de ciblage fournis en temps réel par les États‑Unis.
Actuellement, Washington dépense chaque mois des dizaines de millions de dollars pour fournir à l’Ukraine des images satellitaires, des interceptions de renseignement d’origine électromagnétique (SIGINT), des dossiers de ciblage fusionnés et le financement américain du dispositif AWACS de l’OTAN. C’est ce soutien qui a permis à l’Ukraine de tenir aussi longtemps. Il lui donne la capacité de repérer les concentrations de troupes russes, de suivre les mouvements aériens et de guider des frappes de longue portée contre des raffineries ou des nœuds logistiques. L’Europe, seule, serait incapable de combler un retrait américain sur ce terrain.
Une coupure totale ne se contenterait pas d’entamer le moral des troupes ukrainiennes : elle amoindrirait considérablement leur aptitude à détecter et contrer les mouvements russes et les offensives potentielles. Elle offrirait en outre à l’aviation russe une liberté d’action quasi totale le long de toute la ligne de front.
Kiev comme Bruxelles en ont pleinement conscience. C’est pourquoi une menace crédible et publique de mettre fin à ce flux de renseignement imposerait, des deux côtés de l’Atlantique, une révision aussi soudaine que douloureuse des positions de négociation. L’Europe se retrouverait face à la perspective de supporter à elle seule la charge d’une guerre pour laquelle elle n’a ni les capacités militaires ni le mandat politique interne. Volodymyr Zelensky, lui, se verrait à la tête d’une armée amputée d’une conscience du champ de bataille dont elle était devenue dépendante.
Un tel geste provoquerait un incendie politique. Une partie des propres alliés de Donald Trump, de concert avec les tenants de la ligne dure dans les milieux diplomatiques et stratégiques – ceux qui continuent d’affirmer, contre le faisceau d’indices accumulés, que l’Ukraine peut encore l’emporter –, l’accuseraient de « livrer la victoire à Poutine ».
L’agence Reuters a rapporté, le 21 novembre, que le président menaçait de jouer cette carte si l’Ukraine refusait d’accepter le cadre en 28 points d’ici au 27 novembre. Selon la Maison-Blanche, la nouvelle version de l’accord offrirait des garanties de sécurité renforcées pour protéger l’Ukraine de futures attaques russes.
Au bout du compte, ce tuyau de renseignement reste le levier le plus puissant dont dispose encore Washington. Si Donald Trump s’en sert, il sera accusé d’avoir « perdu la guerre ». Mais le simple fait qu’il refuse de s’engager sans réserve à faire payer aux contribuables américains les centaines de milliards supplémentaires nécessaires pour maintenir à flot l’État ukrainien et son effort de guerre garantit qu’il sera de toute façon tenu responsable de l’issue du conflit.
Reste donc une question : va‑t‑il déclencher cette « option nucléaire » en coupant le renseignement à l’Ukraine ? Une telle décision précipiterait assurément la fin de la guerre et sauverait des vies à moyen et long terme, voire à très court terme. Ou bien choisira‑t‑il de poursuivre les négociations jusqu’à ce que même les plus ardents défenseurs du premier récit soient contraints d’admettre que l’existence même de l’Ukraine est en péril – et que la Russie, en réalité, dispose d’une main autrement plus forte qu’ils ne veulent le reconnaître ?
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Mike Fredenburg écrit sur la technologie militaire et les questions de défense, en mettant l'accent sur la réforme de la défense. M. Fredenburg est titulaire d'une licence en génie mécanique et d'une maîtrise en gestion des opérations de production.
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