Opinion
Espagne : Le gouvernement prévoit d’effacer la Pietà et les quatre évangélistes d’un site érigé à la fin de la guerre civile
Il est prévu de supprimer la Pietà, les représentations des vertus théologales et cardinales, ainsi que les quatre évangélistes qui ornent la base de la croix monumentale de 150 m de hauteur.

Vue extérieure du Valle de los Caídos le 7 juillet 2018, à San Lorenzo de El Escorial, en Espagne.
Photo: JJFarq/Shutterstock
ESPAGNE — La Valle de los Caídos (« Vallée des Morts ») a été rebaptisée Valle de Cuelgamuros (« Vallée des murs suspendus », ndlr) par la loi de Mémoire démocratique de 2022. Elle est confrontée à une transformation radicale qui suscite l’inquiétude parmi les historiens, les artistes et les défenseurs du patrimoine culturel espagnol.
Le gouvernement espagnol prévoit d’éliminer la Pietà et les quatre évangélistes de la « Vallée des Morts ». Le projet, qui coûtera 30 millions d’euros, consiste à remplacer l’ensemble sculptural par une « fissure » abstraite qui divise l’espace et, selon certains, l’histoire espagnole.
Concours international d’idées
Le gouvernement de Pedro Sánchez a sélectionné ce mardi le projet « La base et la croix » comme lauréat d’un concours international d’idées, lancé par le ministère du Logement et du calendrier urbain.
Cette initiative prévoit de supprimer des éléments clés de l’ensemble sculptural créé par le sculpteur républicain Juan de Ávalos dans les années 1950, tels que la Pietà, les représentations des vertus théologales et cardinales, ainsi que les quatre évangélistes qui ornent la base de la croix monumentale de 150 m de hauteur.
L’annonce a eu lieu à la Maison de l’Architecture de Madrid. La proposition a été dévoilée par un jury — composé de représentants du gouvernement, d’un délégué de l’Église catholique et d’experts tels que l’artiste Cristina Iglesias et l’architecte David Chipperfield.
Nouvelle vision
Selon le secrétaire général de l’Agenda urbain, Iñaqui Carnicero, le projet « propose une nouvelle vision de ce complexe monumental où les limites sont définies, où la nature est davantage mise en avant, il invite au dialogue, à une vision plus plurielle, plus démocratique, où de nombreuses perspectives sont incluses. »
Ce plan, qui débute par des travaux prévus pour 2027 et s’étend sur une période d’exécution de quatre ans, alloue quatre millions d’euros au concours et à l’élaboration du projet, et 26 millions à la « resignification », incluant la construction d’un centre d’interprétation muséale sur l’esplanade d’accès.
Cependant, les maquettes révèlent une réalité plus dure : l’esplanade principale sera traversée par une « fissure » horizontale en béton, qui séparera visuellement et symboliquement l’accès à la basilique, éliminant l’escalier d’origine et reléguant les sculptures d’Ávalos à un rôle secondaire, voire à une disparition totale.
C’est pourquoi différents secteurs perçoivent cette action comme un acte de vengeance idéologique, qui ignore l’esprit de réconciliation de la Vallée et mutile un patrimoine artistique d’une valeur inestimable.
Le sculpteur : républicain, exilé et architecte de la réconciliation

Image d’archive de l’Abbaye de la Sainte‑Croix du Valle de los Caídos. (Hirgon/Shutterstock)
Le sculpteur : républicain, exilé et artisan de la réconciliation
Juan Ávalos (Mérida, 1911 – Madrid, 2006), le sculpteur chargé du projet en 1950, n’était pas un partisan du franquisme.
Républicain convaincu, il était membre du PSOE et a subi les purges politiques qui ont suivi la Guerre civile. Avec un dossier d’enquête ouvert contre lui, il a reçu des menaces de mort provenant des deux camps.
Exilé temporairement durant les premières années de la dictature, il n’avait accepté le projet qu’après une audience avec Francisco Franco au Palais de El Pardo en juillet 1950.
Là, il avait proposé une thématique strictement religieuse afin d’éviter toute allusion militaire, s’alignant ainsi sur le décret de Franco qui ordonnait d’enterrer les morts tombés au combat des deux Espagnes dans la Vallée comme symbole d’unité.
« Vous êtes le sculpteur dont l’Espagne a besoin », aurait déclaré Franco en découvrant son œuvre Héros mort à l’Exposition nationale de 1950.
M. Ávalos, malgré les protestations de sculpteurs favorables au régime tels que José Ordóñez et Alberto Sánchez, imposa sa vision : un ensemble de neuf pièces en pierre calcaire de Calatorao (Saragosse), pesant au total entre 120 et 150 tonnes pour la seule Pietà, composée de 151 blocs de 15 à 20 centimètres d’épaisseur.

(Thomas COEX/AFP via Getty Images)
La Pietà
La sculpture principale, haute de six mètres, large de neuf mètres et profonde de trois mètres, montre la Vierge Marie tenant le corps allongé du Christ, avec un visage serein qui évoque souffrance et rédemption.
De part et d’autre se trouvent les évangélistes — saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean, chacun mesurant seize mètres de haut — et les vertus Prudence, Justice, Force et Tempérance, sculptées entre 1952 et 1958.
L’héritage en danger
Le fils du sculpteur, Juan Ávalos Carballo, président de la Fondation Juan Ávalos, a consacré sa vie à préserver cet héritage.
Dans une interview publiée l’an dernier dans La Razón, il a dénoncé la détérioration du monument et mis en garde contre toute altération : « Si vous voulez une revanche de la Guerre civile, il vous suffit de toucher à cette croix ».
Il a rappelé comment son père, influencé par son épouse républicaine, conseilla à Franco d’ignorer le « choc entre les deux camps » afin de faire du Valle un « monument à la réconciliation ».
Le fils du sculpteur a comparé l’abandon actuel à des destructions historiques — de celle de Persépolis par Alexandre le Grand à celle de Palmyre par des islamistes : « Il y a toujours des gens mal intentionnés qui veulent essayer de changer l’histoire, mais c’est impossible, parce que… quand mille, dix mille, cinquante mille, cent mille ans se seront écoulés, les pierres seront toujours là ».
Il a proposé des restaurations in situ à l’aide de modèles originaux et de traceurs modernes, soulignant que le problème était davantage de la « négligence » qu’un manque de moyens.
Tempête de rejet
Le rejet du projet gouvernemental a été immédiat et catégorique.
L’organisation HazteOír a posté sur X : « Attention : nous ne le permettrons pas ! », rejoignant ainsi la campagne #SauverLaVallée.
La Fondation espagnole des avocats chrétiens a, dans un autre message, souligné : « Est-ce cela qu’ils appellent le progrès ? Le gouvernement va retirer la Pietà, les vertus et les quatre évangélistes de la croix. Nous ne le permettrons pas ! Nous continuons de défendre la Vallée devant les tribunaux. »
Le député européen Hermann Tertsch du groupe VOX a fustigé sur X la hiérarchie de l’Église catholique dans une publication, lui reprochant son silence : « Quelle hiérarchie ecclésiastique catholique est capable d’accepter avec une indifférence totale le retrait injustifié d’une Pietà de la Vierge avec le Christ mort ? »
Rafael Núñez-Huesca, porte-parole adjoint du Parti populaire à l’Assemblée de Madrid, a partagé une vidéo de 1993 extraite de l’émission « Tal Cual », dans laquelle le sculpteur lançait un avertissement : « Tout cela nous blesse, nous surprend, nous fait mal et nous perturbe – pour ne pas dire des mots plus forts – que l’on parle encore de la Guerre civile. Nous, ceux d’entre nous qui aurions pu en garder rancune, l’avons oubliée. Il faut être sérieux et dire « ça suffit ! »»
Dans cet extrait, le journaliste lui demande s’il faut déboulonner le monument, ce à quoi le sculpteur répond : « Je ris, car il faudrait une quantité incroyable de dynamite pour détruire l’œuvre que j’ai créée.»
Stanley G. Payne, professeur émérite d’histoire à l’Université du Wisconsin et spécialiste de l’Espagne du XXe siècle, a critiqué ce type de projets gouvernementaux qui ignorent le contexte de réconciliation de la Vallée des Morts : « La mémoire historique est une idéologie et un victimisme », a-t-il déclaré dans un entretien avec Vozpópuli.
L’Association pour la défense de la Vallée des Morts a insisté – y compris par voie légale – sur la reconnaissance du monument comme Bien d’intérêt culturel (BIC) par la Communauté de Madrid.
En réalité, le projet du gouvernement avance. Selon les autorités, il prévoit la transformation de la basilique en musée « respectueux des espaces de culte ». Cependant, la « fissure » – un socle en béton évoquant la division – est critiquée pour son design abstrait qui rompt l’unité voulue dans le monument d’origine.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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