Opinion
Désapprendre la mentalité d’usine : comment l’éducation doit évoluer à l’ère de l’IA

Photo: Oleksii Pydsosonnii/Epoch Times
Nous sommes au début d’une nouvelle révolution industrielle, et pourtant nous pensons toujours avec les esprits d’usine forgés lors de la dernière révolution.
Alors que l’intelligence artificielle (IA) gagne en portée et en puissance, remodelant tout, du travail au droit, il est tentant de se demander comment nous parviendrons à suivre le mouvement. Mais cette question suppose que nous suivons quelque chose que nous comprenons. La question la plus difficile à poser est la suivante : pouvons-nous maîtriser le monde que nous sommes en train de construire ?
Depuis 150 ans, on nous a appris à privilégier l’efficacité plutôt que l’intuition, la spécialisation plutôt que la synthèse et la production plutôt que la perception. Il s’agissait de systèmes délibérés et structurés, conçus lors de la dernière révolution industrielle. Aujourd’hui, alors que ce système s’effondre sous le poids de ses propres hypothèses, nous entrons dans une nouvelle ère, avec des outils que nous ne maîtrisons pas pleinement, guidés par des cadres qui ne nous conviennent plus.
La première révolution industrielle a mécanisé le travail. Les deuxième et troisième l’ont électrifié et numérisé. Chaque phase nous a éloignés d’une pensée holistique et rapprochés d’un fonctionnement compartimenté. L’éducation n’a pas fait exception. Les écoles modernes n’étaient pas conçues pour cultiver la sagesse, mais pour fournir une main-d’œuvre docile, ponctuelle et uniforme. Nous avons normalisé une vision réductrice de l’intelligence, où l’art, l’éthique, les émotions et la santé naturelle étaient considérés comme secondaires ou comme des objectifs de moindre valeur.
Si le but était de constituer une main-d’œuvre prévisible, ce modèle éducatif a fonctionné. Mais il a également annihilé de nombreux traits qui définissent l’être humain. La curiosité a été remplacée par la conformité, l’imagination par l’instruction et les nuances émotionnelles par les tests standardisés. Nous avons divisé le monde en silos : les mathématiques dans une salle, l’histoire dans une autre, la littérature loin des sciences, et le corps séparé de l’esprit. Cette division n’a pas seulement fragmenté le savoir ; elle nous a fragmentés.
Nulle part cette tendance n’était plus profondément ancrée que dans les régimes combinant planification industrielle et contrôle idéologique. Dans les systèmes communistes et socialistes, l’être humain était redéfini comme une unité de production, utile uniquement dans la mesure où elle servait les objectifs de l’État. L’éducation est devenue un outil non pas de libération, mais d’endoctrinement. La pensée dissidente a été éliminée. Les arts ont été transformés en propagande. La recherche scientifique n’était autorisée que dans les limites de l’orthodoxie politique. L’esprit n’était plus sacré ; il était une ressource de l’État. Cette idéologie s’est largement répandue. Même dans les systèmes capitalistes, les individus sont devenus des points de données, et les étudiants, des résultats aux examens. La réussite s’est mesurée à l’aptitude au marché plutôt qu’à la formation du caractère.
Nous nous sommes dit que c’était un progrès, que nous allions enfin au-delà des superstitions et des limites du passé. Nous avons créé de faux récits selon lesquels les cultures anciennes, avec leurs mystiques et leurs philosophes, étaient primitives comparées à nos usines et à nos prévisions. Mais cette histoire, elle aussi, commence à s’effriter.
Bien avant l’ère moderne, les civilisations prospéraient non pas grâce à la spécialisation, mais grâce à l’intégration. Dans la Grèce antique, la philosophie était indissociable de la science et de l’art. En Inde et en Chine, la médecine était liée à la métaphysique, à la cosmologie et à la morale. Ces cultures, comme bien d’autres, ont produit des œuvres qui résonnent encore à travers les millénaires, non pas parce qu’elles étaient efficaces, mais parce qu’elles étaient complètes. Elles ont compris quelque chose que les idéologies modernes ont mis de côté : la connaissance n’est pas un ensemble de dossiers, mais un réseau de sens. Cette sagesse exige un contexte, et cette compréhension ne se développe pas en vase clos, mais en synthèse.
L’ère industrielle moderne a promis qu’elle ferait mieux. Que nous pourrions aller plus vite, construire plus grand, penser plus intelligemment et laisser le passé derrière nous. Que notre avenir serait une ligne droite de progrès, en constante amélioration. Mais plus nous avancions, plus nous nous fracturions. Les guerres se sont mécanisées. Les communautés se sont fragmentées. L’attention s’est effondrée. La dépression, la solitude et l’absence de sens sont devenues des épidémies modernes que nous traitons trop rapidement pour y remédier correctement.
Les systèmes mêmes conçus pour le progrès ont commencé à démanteler l’esprit humain en silence. Et aujourd’hui, au sommet de notre sophistication technologique, nous nous posons à nouveau des questions ancestrales : Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qui compte ? Et comment préparer la prochaine génération à transmettre non seulement le savoir, mais aussi la sagesse ?
L’IA ne remet pas seulement en question notre économie, elle remet en question nos hypothèses. Elle ne respecte ni nos catégories ni les cloisonnements institutionnels. Elle ne reste pas dans son domaine. Pour comprendre l’IA, il faut croiser les disciplines : mathématiques, linguistique, éthique, psychologie, design et droit. Un scientifique des données doit désormais penser comme un sociologue. Un ingénieur doit considérer la philosophie. Un artiste doit s’intéresser au code. L’IA, par sa nature même, révèle les faiblesses de la pensée cloisonnée. Et pourtant, nous envoyons des étudiants dans ce monde avec une formation conçue pour un autre siècle, celui où l’objectif était de former les cerveaux, et non de connecter les esprits.
L’ancien modèle nous a appris à devenir des spécialistes. Mais l’avenir appartiendra à ceux qui sauront discerner des schémas dans tous les domaines, penser en termes de systèmes et poser des questions que les machines ne peuvent pas résoudre. Des questions se posent : À quoi cela sert-il ? À qui cela sert-il ? Quel pourrait être le coût ? Ce ne sont pas des questions techniques, mais des questions morales, et nous ne pouvons pas les déléguer au code.
Si nous voulons rester maîtres des outils que nous créons, nous ne pouvons pas attendre des entreprises d’IA qu’elles développent seules la nouvelle culture sociale. Nos systèmes éducatifs doivent évoluer, non pas en ajoutant simplement des cours de codage ou des programmes d’alphabétisation numérique, mais en repensant fondamentalement la finalité de l’apprentissage. Nous devons apprendre aux élèves à gérer l’incertitude, et non pas seulement à mémoriser des faits ; à intégrer des idées, et non pas simplement à les assimiler ; et à désapprendre, recadrer et imaginer. Cela implique d’accepter l’ambiguïté, d’encourager l’émerveillement, d’enseigner l’éthique avec autant d’urgence que l’ingénierie, et de retrouver l’art perdu de poser de meilleures questions.
Par-dessus tout, nous devons réaffirmer la valeur de l’être humain. L’intelligence émotionnelle, le discernement moral, l’expression artistique et la perspicacité spirituelle ne sont pas des reliques désuètes. Ce sont les compétences fondamentales de l’ère à venir, car elles ne peuvent être remplacées par l’IA. C’est ce que l’éducation doit désormais protéger et amplifier.
Nous ne pouvons pas contrôler toutes les conséquences de cette révolution. Mais nous pouvons décider comment y faire face. Le monde n’a pas besoin de plus de machines. Il a besoin de plus de sens. Et le sens ne viendra pas de meilleurs algorithmes. Il viendra de meilleurs esprits.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Kay Rubacek est une réalisatrice primée, une auteure, une conférencière et une ancienne animatrice de l'émission "Life & Times" sur NTD. Après avoir été détenue dans une prison chinoise pour avoir défendu les droits de l'homme, elle a consacré son travail à la lutte contre les régimes communistes et socialistes sous leurs formes modernes et globales. Elle collabore également avec Epoch Times depuis 2010.
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