Opinion
Défaillance du soutien aux agriculteurs depuis les inondations de l’an dernier en Espagne : entretien avec Víctor Viciedo
Un an après la catastrophe des inondations, l'agriculteur et président de l'ALIV Víctor Viciedo dénonce depuis Valence les indemnités « dérisoires » et les politiques écologiques qui « étouffent » le monde agricole.

Une vue d'ensemble montre le ravin endommagé par les inondations à Buñol, dans la Communauté valencienne, le 7 mars 2025.
Photo: JOSE JORDAN/AFP via Getty Images
Exactement un an après la dévastatrice Dépression Aislada en Niveles Altos (DANA), provoquant des précipitations et des inondations intenses qui ont frappé la province de Valence le 29 octobre 2024, faisant 229 morts — et des dégâts estimés à plusieurs dizaines de milliards d’euros — le secteur agricole demeure plongé dans l’incertitude.
Víctor Viciedo dénonce des compensations insuffisantes et des négligences administratives. Parallèlement, les réglementations européennes et les politiques vertes empêchent la reprise du monde rural et la reconstruction des terres.
Des milliers de sinistrés, parmi lesquels 34.000 familles attendent des aides de première nécessité, affrontent non seulement la perte de récoltes évaluée à plus de 103 millions d’euros, mais aussi la transformation forcée de plus de 300 hectares de terres en Domaine Public Hydraulique (DPH), avec des indemnisations forfaitaires de 11.800 euros par hectare qui couvrent à peine la perte de revenu.
Dans ce contexte, les agriculteurs valenciens dénoncent une double agression : la négligence administrative dans la gestion de la crue et les politiques « vertes » européennes qui augmentent les coûts et restreignent l’utilisation des sols.

Víctor Viciedo, président de l’Association valencienne des agriculteurs indépendants (ALIV). (Crédit photo Víctor Viciedo)
Víctor Viciedo, président de l’Association des Agriculteurs Indépendants valenciens (ALIV), livre dans cette interview exclusive une vision inédite du terrain. Fort de décennies d’engagement pour la défense du monde rural, il critique l’enchaînement des défaillances — du manque d’entretien des ravins aux déversements controversés de réservoirs comme celui de Forata.
Il pointe également des textes tels que la loi sur la restauration de la nature, qui impose la suppression de 25.000 km d’obstacles fluviaux d’ici 2030, qu’il considère comme un frein direct à la résilience hydraulique et à la rentabilité agricole.
M. Viciedo révèle également comment les réglementations du Pacte vert européen non seulement empêchent la reprise — en retardant les réparations des routes et des canaux d’irrigation —, mais menacent également de remplacer la production locale par des importations provenant de pays sans restrictions phytosanitaires. Son appel à abroger cet « ensemble complet de lois » résonne comme un cri d’alarme pour les 40 % d’agriculteurs de la région qui, un an plus tard, n’ont toujours pas pu reprendre leurs activités agricoles.
Epoch Times : Dans une vidéo récente, vous dites que les terres déclarées Domaine Public Hydraulique (DPH) reçoivent « une misère ». Quel impact ces indemnisations ont-elles eu sur les agriculteurs concernés ?
M. Viciedo : Il faut d’abord dire ce qu’est le Domaine Public Hydraulique (DPH). Le DPH est défini à l’article 2 du Texte Refondé de la Loi sur les Eaux (RDL 1/2001) et, selon cette définition, il ne s’agit pas seulement de l’eau : la loi l’entend comme l’ensemble des eaux continentales (de surface et souterraines), des cours d’eau — continus ou discontinus — et des fonds de lacs, lagunes et réservoirs situés en lit public. Ce sont des biens publics de l’État et ils font partie du patrimoine commun que l’Administration est tenue de protéger et de gérer.
Les crues et coulées de boue de la DANA à Valence le 29 octobre 2024, avec des déplacements massifs de terrain, ont largement modifié la configuration géomorphologique des lits des cours d’eau et des rivières dans la zone sinistrée. De ce fait, certaines terres agricoles ont été intégrées au cours d’eau ; cette bande fait désormais partie du DPH, ce qui modifie complètement les utilisations possibles de ces terres.
Un an après la catastrophe, la Confédération Hydrograhique du Júcar n’a toujours pas achevé le bornage des terrains passant en Domaine Public Hydraulique (DPH), de sorte que de nombreux agriculteurs possédant des parcelles contiguës aux cours d’eau ignorent encore si leurs terres le sont restées ou non.
Après la délimitation, l’intéressé doit être notifié, puis dispose d’un mois pour former un recours (selon le cas, en appel ou en réexamen). Le problème est que, dans beaucoup de cas, l’intéressé n’est pas identifié et, dans ce cas, la publication au BOE (Bulletin officiel de l’État) fait office de notification, déclenchant dès le lendemain le calcul des délais. Malheureusement, l’intéressé, comme tout un chacun, ne lit pas le BOE, et ne saura pas que sa parcelle ne lui appartient plus.
Dans le cadre du RDL 7/2024 de mesures d’urgence du Gouvernement pour répondre aux dommages causés par la DANA (28 octobre au 4 novembre 2024), et pour compenser la perte de revenu des personnes affectées par le passage au domaine public, le ministère de l’Agriculture a mis en place une ligne spécifique : l’Ordre APA/383/2025 du 22 avril, qui fixe une indemnité de 11.800 euros par hectare pour les parcelles passant en DPH suite à la DANA.
Le problème pour les agriculteurs est que cette compensation a la nature d’une perte de revenu, non d’une expropriation. Si c’était une expropriation, l’État devrait payer le juste prix conforme à la valeur marchande, qui dans de nombreux cas pourrait dépasser largement (par exemple, être multipliée par trois) le montant de l’indemnité fixée par hectare.
Epoch Times : Quelles mesures spécifiques proposez‑vous pour compenser équitablement ces pertes ?
M. Viciedo : À mon sens, lorsqu’une terre devient domaine public, l’État devrait en toute justice payer la valeur du bien. D’autant plus si l’on peut établir une responsabilité administrative dans l’élargissement du lit, par manque d’entretien, par vidanges ou par la non‑exécution d’ouvrages approuvés dans le Barranco del Poyo et ses affluents.
Étant donné que l’État ne reconnaîtra probablement pas sa responsabilité et que, par la loi, le passage au DPH n’implique pas d’expropriation, nous proposons d’exiger la création d’une Table Technique d’Évaluation composée de l’Administration compétente et de représentants des titulaires affectés (experts et avocats), afin de revoir les cas singuliers où le barème de 11.800 euros/ha est manifestement insuffisant au regard de la valeur marchande et de la perte réelle subie.
Dans l’évaluation des indemnisations, il faut tenir compte du fait que les agriculteurs affectés n’ont pas seulement perdu la récolte de l’année de la DANA, mais qu’un an après, ils restent incapables de cultiver principalement en raison du retard dans la réparation des chemins et des infrastructures hydrauliques par l’Administration.
Epoch Times : Vous évoquez des « indices enchaînés » suggérant une possible intentionnalité dans la gestion de la DANA, comme l’absence d’entretien des ravins ou le maintien des réservoirs. Comment ces manquements ont‑ils pu affecter la reprise agricole ?
M. Viciedo : Effectivement, l’enchaînement de mauvaises décisions par les différentes administrations augmente la probabilité d’une certaine intentionnalité à aggraver les conséquences de la DANA, dans le but de renforcer les théories selon lesquelles les catastrophes naturelles relèvent d’un changement climatique d’origine humaine, et que c’est à nous d’y remédier.
Le manque d’entretien des ravins — en particulier de la végétation invasive (comme les roseaux), ainsi que l’accumulation de déchets, de résidus végétaux et de troncs d’arbres — a ralenti l’écoulement de l’eau, obstrué les ponts et élevé les niveaux et débits, provoquant des débordements et des vagues qui, en plus de ravager les cultures, ont entraîné des pertes de bétail et même humaines.
Le déversement des barrages (comme celui de Forata, reconnu par la CHJ dans ses rapports) et la vidange plus que probable des barrages de la rivière Turia (conformément aux hydrogrammes de la « Proposition de plan pour la récupération et l’amélioration de la résilience face aux inondations dans le territoire touché par la DANA dans la Communauté valencienne ») auraient considérablement aggravé cette destruction.
Les inondations prolongées durant plusieurs jours ont asphyxié les racines et favorisé des champignons phytopathogènes, entraînant la mortalité des arbres.
Le retard dans la réparation des chemins ruraux et des infrastructures hydrauliques d’irrigation a empêché la reprise de la production de nombreuses terres cultivables : au‑delà de la perte de la récolte l’année de la DANA, beaucoup n’ont pas pu cultiver l’année suivante.
Epoch Times : Vous avez critiqué les « politiques vertes » pour avoir « détruit l’agriculture » et « diminué la compétitivité ». Quelles mesures concrètes ont entravé la reprise des agriculteurs après la DANA ?
M. Viciedo : Les politiques pseudo-écologiques issues du Pacte vert européen nuisent gravement au secteur. Sans aucune nécessité ni justification écologique, mais uniquement sur la base de dogmes climatiques, des politiques agricoles sont imposées qui augmentent les coûts de production et diminuent le rendement agricole.
Ces mêmes politiques agricoles qui nuisent au secteur sont en partie responsables de la catastrophe.
Par exemple, la loi sur la restauration de la nature vise à restaurer tous les écosystèmes « dégradés » d’ici 2050, avec des objectifs intermédiaires : au moins 20 % pour 2030 et 60 % pour 2040. Parmi ces écosystèmes figurent des zones agricoles et d’élevage qui se voient contraintes d’abandonner leur activité en raison de contraintes écologiques impossibles à respecter si l’on veut rester rentable.
Un autre objectif de cette loi, énoncé à son article 9, est de restaurer la connectivité naturelle des rivières en supprimant barrages et digues, qualifiés de « barrières ». Textuellement : «Les États établiront un inventaire des barrières artificielles…», «détermineront les barrières qui doivent être supprimées» afin de «restaurer au moins 25.000 km de rivières […] à écoulement libre […] d’ici à 2030», «en s’occupant principalement des barrières obsolètes».
L’application rigoureuse de cette loi nuit non seulement à l’agriculture et à l’élevage, mais pose aussi des obstacles au nettoyage des cours d’eau, ce qui entraîne les débordements évoqués plus haut. De même, si l’esprit de la loi est d’éliminer les barrières, comment envisager la construction du barrage approuvé à Cheste ou le détournement des eaux du Barranco del Poyo vers la rivière Turia, destiné à diriger une grande partie du débit vers le Plan Sud ?
La stratégie nationale de restauration des cours d’eau va dans le même sens. Elle prévoit uniquement de restaurer la végétation riveraine et d’éliminer les barrières artificielles, mais parfois, dans les zones inondables et surtout au niveau des ravins et des cours d’eau traversant des agglomérations, la sécurité des personnes doit primer. Il faut veiller à élargir et nettoyer le lit du cours d’eau afin qu’il puisse évacuer rapidement les eaux. De même, les barrages et les digues absorbent une grande partie des crues ; si nous les supprimons, tout va circuler, dans le lit ou en dehors, vers la mer.
Epoch Times : Quelles alternatives proposez‑vous pour garantir la viabilité économique du secteur ?
M. Viciedo : Il n’y a pas d’autre alternative. Pour éviter que le secteur primaire européen, et donc espagnol, ne soit remplacé par des importations provenant de pays tiers où les lois environnementales ne sont pas strictes, où l’empreinte carbone augmente en raison du transport maritime de denrées alimentaires depuis des endroits éloignés et où il n’existe pas de limites comparables en matière d’utilisation de produits phytosanitaires — avec le risque que cela comporte pour la sécurité alimentaire — et si nous voulons également miser sur la sécurité face aux inondations, il faut abroger l’ensemble des lois dérivées du Pacte vert européen.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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