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Shein

Travail forcé, ateliers atomisés… Le système Shein « précarise à l’extrême les travailleurs » chinois

Symbole de la mode jetable mondialisée, Shein s’appuie principalement, à la différence d’autres géants du secteur, sur des milliers de petits ateliers, un système qui « précarise à l’extrême les travailleurs », explique Gilles Guiheux, sociologue de la Chine.

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À Paris, le 5 novembre 2025, des manifestants dénoncent le travail forcé des Ouïghours et la fast fashion lors de l’ouverture d’un magasin Shein au BHV Le Marais.

Photo: LAURENT CARON/Hans Lucas/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 6 Min.

Sous la pression gouvernementale après le scandale des poupées sexuelles à l’apparence enfantine vendues sur son site, Shein échappe pour l’heure à une suspension en France en se recentrant sur son cœur d’activité : le vêtement à bas prix.

Si l’entreprise, fondée en 2012 en Chine et désormais basée à Singapour, est devenue championne de l’ultra fast fashion, ce n’est pas en inventant un nouveau mode de production mais en poussant « au maximum » un système déjà existant, selon Gilles Guiheux, professeur à l’Université Paris Cité et spécialiste du marché du travail en Chine. « Shein est un symptôme d’une partie du capitalisme chinois, un capitalisme associé à des modes de production qui sont à la frange de la légalité et où le travailleur est très peu protégé », développe-t-il.

Sous-traitance atomisée et ateliers familiaux

Industrie territorialisée, le secteur textile est très présent à Canton, dans la province du Guangdong (sud), « une espèce de Mecque du prêt-à-porter de bon marché ». C’est ici que la marque, forte de 10.000 sous-traitants, fait fabriquer, majoritairement, ses milliers de nouvelles références disponibles chaque jour. Pour permettre ce catalogue pléthorique, Shein utilise « des petits ateliers de production de type familiaux, de 10-20 personnes », relève Gilles Guiheux, « dans lesquels la main-d’œuvre est corvéable à merci ».

Dans ces structures, « il n’y a pas vraiment de contrat de travail ». Le patron « emploie » souvent « des membres de sa propre famille, son épouse, ses enfants » ou des « gens du même village » – beaucoup de ces travailleurs sont des migrants venus de zones rurales à la recherche d’un gagne-pain. « Ces gens-là sont prêts à accepter les conditions de travail les plus difficiles. Ils sont là pour travailler le plus possible, ils acceptent l’intensité du travail et les heures supplémentaires ». « Le temps de travail officiel, c’est 40 heures, mais ils sont prêts à travailler jusqu’à minuit et à reprendre le lendemain à 8 heures », selon Gilles Guiheux.

Audits internes, code de conduite et limites systémiques

Face aux critiques, Shein affirme soumettre l’ensemble de ses fournisseurs de rang 1 et 2 à des audits annuels, non annoncés et réalisés par des organismes indépendants. Selon son rapport de durabilité 2023, ce sont près de 4000 audits qui auraient été menés sur des fournisseurs qui représentent 95% de la valeur produite. La marque, qui exige de ses partenaires un contrat de travail et le paiement sous trente jours, brandit aussi un code de conduite détaillé. Celui-ci stipule une « stricte application du droit local » et prévoit la rupture immédiate du contrat en cas de travail forcé, de travail des enfants ou de harcèlement ; d’autres violations, telles que la discrimination ou la non-application du salaire minimum, imposent une remédiation sous 30 jours.

Cependant, rappellent plusieurs analyses indépendantes, le système présente des zones grises notoires : la méthodologie des audits n’est pas détaillée, la cartographie structurée des risques sociaux et environnementaux fait défaut, et les mesures correctives concrètes restent en grande partie à démontrer. Si la politique d’approvisionnement intègre des exigences environnementales et offre même, depuis 2025, des incitations financières à l’installation de panneaux solaires chez les fournisseurs, la transparence sur ses effets réels demeure limitée.

Délocalisations, production à la demande et numérisation

Le modèle de production Shein se distingue aussi de celui des autres géants de la mode éphémère, observe Gilles Guiheux : « Quand vous êtes H&M ou Zara, vous commandez des grandes séries, et donc vous avez besoin de contractualiser avec de grandes entreprises. » Ces grands ateliers, soumis à des inspections internationales, proposent, au moins sur le papier, des contrats stables et des salaires mensuels. Mais ici encore, la perméabilité entre grands et petits établissements est patente.

Par ailleurs, le groupe développe, à l’instar d’autres major du secteur, de nouveaux centres de production hors Chine – en Turquie pour l’Europe, au Brésil pour l’Amérique latine – afin de raccourcir la chaîne logistique et abaisser les coûts, tout en marquant des points sur le plan de la « décarbonation ». En 2025, Shein s’est engagé à réduire de 25% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, avec une ambition de neutralité carbone à l’horizon 2050. Pourtant, l’OCDE comme les ONG environnementales pointent l’absence de plans opérationnels et d’une cartographie des risques digne de ce nom, autant de lacunes qui nourrissent le doute sur l’effectivité de ces engagements.

Face aux accusations croissantes, Shein met en avant son modèle économique de production à la demande pour expliquer ses prix bas : « Ce qu’ils ont inventé, c’est l’idée qu’il n’y a plus besoin de faire de stocks », salue Gilles Guiheux, évoquant un « coup de génie commercial » lié à la digitalisation du process. Or cette numérisation « accentue la flexibilité du travail et la précarisation des travailleurs, puisque, dans ces ateliers familiaux, les gens sont payés à la pièce fabriquée ».