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Sébastien Lecornu non-censuré : « Une séquence politique de sauve-qui-peut général », selon Ghislain Benhessa

ENTRETIEN – Le Premier ministre Sébastien Lecornu a échappé aux motions de censure du Rassemblement national et de la France insoumise le 16 octobre. Les députés socialistes ont dans leur grande majorité choisi de ne pas censurer le gouvernement.

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Photo: Crédit photo : Ghislain Benhessa

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Durée de lecture: 12 Min.

Ghislain Benhessa est avocat au barreau de Strasbourg, docteur en droit et essayiste, auteur de Comment faire taire le peuple – Le référendum impossible (L’Artilleur, 2023), et plus récemment de On marche sur la tête ! La France, l’UE et les mensonges (l’Artilleur, 2024). Selon lui, la situation actuelle donne à voir des politiques qui s’accrochent à leurs postes au prix de toutes les alliances.
Epoch Times – Sébastien Lecornu a sauvé sa peau le 16 octobre. Les motions de censure du RN et de LFI ont été rejetées. Sommes-nous partis pour connaître une période un peu plus stable ?
Ghislain Benhessa – Difficile à dire pour le moment. Nous ne sommes qu’au début du gouvernement Lecornu II. Mais il est certain que le Premier ministre doit son maintien à une absence d’attaques de la part du PS et de LR. Les socialistes ont calmé leurs ardeurs après l’annonce de la suspension de la réforme des retraites. La droite, de son côté, a opté pour la stratégie de la stabilité afin d’éviter une nouvelle dissolution. Il est clair que de nouvelles élections législatives auraient pu virer à la débâcle, à la fois pour le PS, les Républicains, et tous ceux agrégés au bloc central macroniste.
Toutefois, cet attelage allant du PS au LR est précaire. Pour le moment, les socialistes sont satisfaits, mais jusqu’à quand ? On voit d’ores et déjà qu’ils cherchent à obtenir des concessions supplémentaires : ils vont probablement jouer la carte de la surenchère avec le gouvernement. De leur côté, les Républicains sont profondément divisés. Deux lignes s’affrontent désormais : celle de Bruno Retailleau contre celle de Laurent Wauquiez.
Le premier, à la tête du parti, qui s’est fait un nom comme ministre de l’Intérieur ces derniers mois, penchait vers la censure. Le second, à la tête du groupe des députés, a verrouillé la non-censure. Après le duel entre Chirac et Balladur, celui qui a opposé Jean-François Copé et François Fillon, une énième guerre des chefs s’ouvre à droite. Pas très reluisant, d’autant plus que le parti n’est plus que l’ombre de ce qu’il était sous l’égide de l’UMP du temps de Nicolas Sarkozy.
Dans une telle configuration, il est difficile de prévoir ce qui se passera dans les prochains temps sur le terrain politique. Le PS, s’il est aujourd’hui l’allié objectif de la macronie, pourrait demain se rapprocher à nouveau des Insoumis. De même, impossible de savoir si les Républicains ont eu raison de pactiser avec un bloc central agonisant. Ils ont probablement sauvé des sièges, mais leur ligne est illisible. D’autant que certains des leurs sont désormais ministres, dans une cacophonie générale et contre l’aval de leurs chefs.
À vous entendre, Sébastien Lecornu peut dire merci aux deux partis historiques de gouvernement …
Complètement. Le Premier ministre a quand même fait une concession en or aux socialistes. La réforme des retraites était la réforme emblématique du second quinquennat d’Emmanuel Macron – probablement la seule. Les Républicains, de leur côté, à l’exception d’une députée, ont choisi de ne pas censurer le gouvernement. Le problème, c’est que le spectacle offert par le PS, LR et le bloc central alimentent le discours anti-élites.
Les Français risquent d’interpréter cette séquence politique comme un sauve-qui-peut général : une alliance de circonstances entre des partis qui ne pèsent rien par rapport au RN, même à LFI, mais veulent à tout prix éviter une autre dissolution, qui les entraînerait vers le fond. Tout sauf s’en remettre à l’élection et aux urnes.
L’annonce de la suspension de la réforme des retraites peut-elle aussi être analysée comme un aveu de faiblesse de la macronie voire du président de la République ?  
Élargissons le spectre, si vous le voulez bien. Emmanuel Macron arrive au pouvoir il y a 8 ans avec une idée-force : redonner du souffle, du dynamisme et de la verticalité à la fonction de chef de l’État après le quinquennat de François Hollande. Raison pour laquelle on a rapidement parlé de président « jupitérien ». Aujourd’hui, il n’en reste plus rien. Il est désormais tributaire d’une Vᵉ République qui bascule vers un régime parlementaire, lui-même tenu par des compromis de partis qui ne représentent pas grand-chose dans les urnes. Nos institutions fonctionnent à l’envers, et nous sommes entrés dans une période d’instabilité et d’illisibilité aux antipodes des promesses d’Emmanuel Macron.
Mais ce n’est pas tout. Le président de la République n’a pas tenu sa promesse de remettre de l’ordre dans les comptes publics. Le bilan économique du « Mozart de la finance » est calamiteux. La dette continue d’augmenter et notre déficit ne cesse de se creuser, jour après jour, donnant lieu à des discussions anxiogènes et à la dégradation de la France par les agences de notation. Et voilà que dans ce contexte, la seule réforme brandie comme permettant de réaliser des économies finit aux oubliettes. Juste pour permettre à un gouvernement en sursis de tenir un peu plus longtemps. La politique française est en lambeaux, déconstruite par ses propres acteurs. En premier lieu Emmanuel Macron lui-même, qui n’a jamais tenu compte des résultats de sa dissolution manquée. Il rêvait d’une « grande clarification », il a obtenu une grande confusion. Qui a viré au chaos. La Vᵉ République n’est pas en cause, mais le comportement de celui qui devait en être le gardien.
Le gouvernement de Sébastien Lecornu vous semble-t-il être aux ordres du PS, comme certains l’affirment ?
Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec cette affirmation. Plus profondément, je crois qu’il faut nous interroger sur la nature même du macronisme. Lorsqu’Emmanuel Macron lance « En Marche » en 2016, il annonce en même temps le « dépassement » du clivage droite-gauche. Les années passant, la macronie, voyant le RN monter en puissance à l’Assemblée nationale, se rapproche de LR. Certains ont pensé que la macronie était devenue une force politique de centre droit.
Mais l’annonce de la suspension de la réforme des retraites, et le rapprochement entre la macronie et le PS, sont venus clarifier un élément majeur dans la nature même du macronisme et dans la sensibilité du chef de l’État. Emmanuel Macron n’est pas un homme de droite. Il vient de l’État profond socialiste. Énarque, sorti inspecteur des finances avant de rejoindre la banque Rothschild, il participe à la commission Attali pour la libération de la croissance française avant de rejoindre la campagne électorale de François Hollande en 2012, qui le nomme ensuite secrétaire général adjoint de son cabinet puis comme ministre.
Et depuis son élection, les historiques du PS sont aux manettes des institutions centrales. Richard Ferrand a pris la tête du Conseil constitutionnel – à la suite de Laurent Fabius, Pierre Moscovici celle de la Cour des comptes. Sans parler de Martin Adjari, un proche du PS nommé patron de l’Arcom. Ou de Thierry Tuot, auteur du fameux rapport « La grande nation pour une société inclusive » sous François Hollande, véritable plaidoyer pour une société multiculturelle, nommé par Emmanuel Macron président de la section de l’intérieur du Conseil d’État. Dès qu’il s’agit de choisir les hommes aux postes-clefs, il pioche parmi les caciques du socialisme post-mitterrandien, ralliés à François Hollande puis au macronisme.
Et pendant que les partis négocient entre eux, la France continue de s’enfoncer dans la crise économique …
La France perd un temps précieux depuis des années. Mais si elle perd du temps, c’est parce qu’elle est prise dans le piège de discours contradictoires. Récemment, j’ai suivi avec attention l’intervention de l’ex-commissaire européen Thierry Breton sur une chaîne d’information en continu. Il affirmait que la France doit, d’une part, mettre en œuvre des réformes et que les partis doivent trouver des compromis.
D’autre part, il indiquait que le pays connaît une crise de leadership, si bien qu’il faudrait un président fort à la tête du pays. Or, on ne peut pas vouloir les deux « en même temps », comme dirait Emmanuel Macron : vanter les compromis partisans aux allures de tractations de couloir et plaider pour un exécutif qui assume la direction du pays. C’est l’un ou l’autre.
D’autant qu’avec une Assemblée nationale morcelée, le président est voué à rester faible jusqu’à la fin de son mandat. Il ne peut pas faire grand-chose, si ce n’est trouver les moyens pour tenter d’éviter la dissolution et rester en place le plus longtemps possible – peut-être jusqu’en 2027. Vous savez, si l’on prend un peu de champ, on s’aperçoit vite que ce spectacle est honteux. Emmanuel Macron gagne du temps depuis un an et demi, et les politiques ne pensent qu’à sauver leurs boutiques au prix d’alliances réversibles et incompréhensibles. La notion d’intérêt général a disparu, donnant à voir un monde politique replié sur lui-même, sourd aux réalités, au pays et aux Français. Flotte dans l’air un parfum de fin de règne, sans qu’on sache de quoi la suite sera faite.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.