Auchan : le plan social prévoyant près de 2400 suppressions de postes, invalidé par le tribunal administratif de Lille

Le tribunal administratif de Lille a invalidé le plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant près de 2 400 suppressions de postes chez Auchan, une décision que l'enseigne de distribution de la galaxie Mulliez a immédiatement décidé de contester en appel.
Photo: RICCARDO MILANI/Hans Lucas/AFP via Getty Images
Le tribunal administratif de Lille a invalidé mardi 23 septembre le plan de sauvegarde de l’emploi prévoyant près de 2400 suppressions de postes chez Auchan, une décision que l’enseigne de distribution de la galaxie Mulliez a immédiatement décidé de contester en appel.
Cette annulation judiciaire constitue un revers significatif pour le distributeur nordiste, qui avait obtenu en mars dernier l’accord de trois syndicats majoritaires (CFDT, CFTC et CFE-CGC) sur ce plan social d’ampleur, négocié dans un contexte de difficultés économiques persistantes pour l’enseigne d’hypermarchés.
Deux motifs d’invalidation retenus
Le tribunal administratif a retenu deux motifs d’annulation qui fragilisent la procédure suivie par Auchan Retail France. Premier grief : le plan de sauvegarde de l’emploi, conclu au niveau du groupe, « aurait dû être signé par les représentants syndicaux de chacune des cinq composantes du groupe » Auchan Retail France, selon la juridiction lilloise.
Pour Judith Krivine, avocate du comité social et économique d’Auchan E-commerce France et de salariés de cette société, cette décision pourrait « avoir une portée au-delà de la galaxie Mulliez, puisque cela concerne tous les groupes » qui négocient des plans sociaux. « Pour moi, des signatures au niveau du groupe, ça ne peut être qu’un accord-cadre », qui doit ensuite être « reproposé dans chaque entreprise pour tenir compte des spécificités » de chacune, estime l’avocate.
Un défaut d’information reproché
Second motif d’invalidation : le tribunal administratif a jugé que la procédure d’information et de consultation des comités sociaux et économiques avait été entachée d’un vice de procédure. Auchan Retail France s’est en effet « borné » durant cette procédure à fournir aux CSE les chiffres à l’échelle de la société Suraumarché, qui contrôle les différentes entreprises visées par le plan social.
Or, selon la décision consultée par l’AFP, Suraumarché est détenue « en quasi-totalité » par Acanthe, Valorest et Cimofat, trois des principales sociétés de la galaxie Mulliez. La procédure d’information « aurait dû être plus étendue et inclure les données des trois sociétés qui exercent un contrôle conjoint sur la société Suraumarché elle-même », souligne le tribunal.
Une structure complexe questionnée
Cette décision judiciaire remet en lumière la complexité de l’organisation de l’empire Mulliez, dont d’autres enseignes comme Decathlon et Kiabi sont en bien meilleure santé financière. Cette galaxie ne constitue pas un groupe à proprement parler, mais un ensemble à la structure sophistiquée, mélangeant sociétés civiles détenues par la famille et holdings gérant les enseignes.
Pour Damien Condemine, avocat de la fédération CGT Commerces et services, ce découpage « artificiel » permet de « cloisonner les activités ». Ainsi, la bonne forme financière d’autres marques de la galaxie n’a pas été prise en compte dans le plan social d’Auchan, « ce qui permet aux Mulliez de cacher la bonne santé globale » de leur empire.
La position d’Auchan confirmée
En janvier dernier, le patron d’Auchan Guillaume Darrasse avait défendu cette organisation devant l’Assemblée nationale, assurant que « l’Association familiale Mulliez n’est pas un groupe au sens juridique du terme ». Dans ce cadre, le reclassement des salariés d’une entité en difficulté au sein d’autres entreprises de l’AFM « n’est pas mécanique et automatique au sens juridique du terme », avait-il fait valoir.
Auchan fait appel
Auchan Retail a annoncé mardi dans un communiqué faire appel de cette décision d’invalidation. La cour administrative d’appel dispose d’un délai de trois mois pour statuer, selon les informations du tribunal administratif.
« Ce jugement ne critique en rien la qualité du plan de sauvegarde de l’emploi », assure Auchan Retail dans sa réaction, ni « les efforts et les moyens déployés pour éviter des licenciements, faciliter le reclassement ou atténuer les conséquences des départs ». L’enseigne maintient que son plan social respecte les exigences légales sur le fond.
Des conséquences pour les salariés
Cette décision judiciaire, si elle devenait définitive, ouvrirait a minima la voie à des indemnisations supplémentaires devant les prud’hommes pour les salariés qui les saisiraient. Elle ne remet pas en cause les mesures d’accompagnement déjà mises en œuvre ni les solutions trouvées pour une partie des salariés concernés.
Auchan avait indiqué après l’audience que 1000 personnes visées par le plan social avaient « déjà trouvé une solution », dont 320 reclassements internes et 100 salariés repris par d’autres structures.
Une victoire syndicale
La CGT Commerces et services s’est félicitée de ce qu’elle considère comme « un tournant dans l’histoire du capitalisme qui, par des stratagèmes inacceptables, contournait tous les dispositifs législatifs protecteurs ». Le syndicat espère que cette décision aura des effets « pour tous les travailleurs dont les multinationales ont les mêmes pratiques ».
« Le tribunal a enfin entendu les arguments de la CGT qui dénonçait l’absence de reconnaissance d’un groupe Mulliez, détenant plus de 20% de l’économie française », a souligné l’organisation syndicale dans un communiqué.
Un plan social contesté dès l’origine
Ce plan social, annoncé en novembre 2024, avait suscité une forte mobilisation syndicale. Négocié durant plusieurs mois, il avait finalement été signé par les organisations syndicales CFDT, CFTC et CFE-CGC le 19 mars 2025, malgré l’opposition maintenue de la CGT.
Les suppressions d’emplois touchent principalement les activités d’hypermarchés et de e-commerce, secteurs en difficulté face à l’évolution des habitudes de consommation et à la concurrence du commerce en ligne et des enseignes discount.
Perspectives d’évolution
La procédure d’appel devant la cour administrative d’appel constituera désormais l’étape décisive de cette bataille juridique. L’issue de cette procédure déterminera si Auchan devra revoir intégralement sa stratégie de restructuration ou pourra maintenir son plan initial avec des aménagements procéduraux.
Cette affaire pourrait également faire jurisprudence pour d’autres groupes familiaux ou consortiums d’entreprises confrontés à des restructurations, en précisant les obligations d’information et de consultation des instances représentatives du personnel dans des structures complexes.

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