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La dette cognitive que nous accumulons chaque fois que nous utilisons l’IA

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Photo: Epoch Times, Shutterstock

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Durée de lecture: 10 Min.

Lorsque des chercheurs du MIT ont demandé à des étudiants de rédiger des rédactions avec et sans ChatGPT, les résultats se sont révélés préoccupants : 83 % de ceux qui avaient utilisé l’IA ne pouvaient pas se rappeler une seule phrase de leur texte, écrit quelques minutes plus tôt.

Cette amnésie n’est pas qu’un effet secondaire de l’IA. ChatGPT et d’autres outils similaires sont aujourd’hui utilisés quotidiennement, pour tout, des courriels aux rédactions. Comme l’indique cette nouvelle étude, nous sacrifions peut-être une partie de nos capacités cognitives et de notre créativité au profit d’une facilité immédiate.

L’amnésie induite par l’IA

L’étude du MIT a porté sur 54 participants de la région de Boston. Les étudiants devaient rédiger des rédactions selon trois contextes : avec ChatGPT, en utilisant Google pour leurs recherches ou uniquement à partir de leurs connaissances et raisonnements personnels. Les chercheurs ont évalué leur mémoire, leur activité cérébrale et leur sentiment de propriété intellectuelle.

Le déficit de mémoire n’était qu’une partie d’un schéma plus large.

En analysant l’activité cérébrale, les chercheurs ont découvert que les utilisateurs d’IA présentaient une nette baisse de l’activité cérébrale. Les rédacteurs “cerveau seul” produisaient presque deux fois plus de connexions dans la bande de fréquences alpha – liée à l’attention, à la concentration ainsi qu’à la créativité – que ceux qui utilisaient ChatGPT.

Dans la bande thêta, liée à la formation de la mémoire et à la réflexion profonde, l’écart était encore plus marqué : 62 connexions pour les rédacteurs indépendants contre 29 pour ceux qui avaient recours à l’IA.

(illustration (Epoch Times)

À l’instar des systèmes GPS qui érodent progressivement nos capacités d’orientation, les outils d’écriture assistés par IA exploitent la tendance naturelle du cerveau à économiser son énergie, en se mettant en retrait lorsqu’un système externe prend en charge le travail cognitif.

Ce n’est pas en soi une mauvaise chose. Après tout, nous créons des outils et des technologies pour déléguer certaines tâches et économiser nos efforts. Mais les résultats du MIT, montrant que des étudiants oubliaient ce qu’ils venaient d’écrire, inquiètent Steven Graham, professeur à l’Arizona State University, spécialiste des liens entre écriture et apprentissage.

« Les étudiants sont censés utiliser l’écriture comme un outil d’apprentissage », rappelle-t-il.
« Si vous ne pouvez pas vous souvenir des informations de base de vos propres textes, qu’avez-vous réellement appris ? »

Selon Mohamed Elmasry, professeur émérite en génie informatique à l’Université de Waterloo et auteur sur les liens entre IA et intelligence humaine, abuser de ChatGPT prive la mémoire de la stimulation dont elle a besoin pour rester active.

« Oui, même si le cerveau est un organe sans pièces mobiles, il a besoin d’exercice ! » explique-t-il. Il s’inquiète : une dépendance à l’IA pourrait avoir des effets à long terme plus préoccupants.

Les effets à long terme

Quatre mois après la première rédaction, les mêmes participants du groupe IA ont été invités à rédiger une dernière rédaction sans aide, uniquement avec leur réflexion personnelle. Pourtant, même lorsqu’on leur demandait explicitement de penser par eux-mêmes, les électroencéphalogrammes montraient que leurs réseaux neuronaux restaient moins activés que ceux des étudiants qui avaient toujours écrit de manière autonome.

Les chercheurs ont qualifié ce phénomène de « dette cognitive » : à l’image d’une dette financière, l’assistance de l’IA procure des bénéfices immédiats tout en risquant d’entraîner des coûts à long terme.

« Écrire est un travail difficile », rappelle le Pr. Graham.

« Certaines idées sont complexes, nécessitent de l’engagement à plusieurs niveaux. Si une machine fait ce travail à notre place, nous ne récoltons pas les bénéfices que notre propre implication nous aurait apportés. »

Écrire oblige à sélectionner ce qui est important, à organiser les informations, à les reformuler dans ses propres mots. Autant d’étapes qui stimulent les circuits neuronaux liés au raisonnement indépendant, à la créativité et à l’expression personnelle.

« En empruntant systématiquement la voie la plus rapide grâce à ChatGPT, nous érodons progressivement les capacités intelligentes de notre mémoire », avertit le Pr. Elmasry.

Le manque de stimulation cognitive peut avoir des conséquences lourdes.

« Lorsque la mémoire humaine s’atrophie par manque de stimulation et de défis, le vieillissement nous rend plus vulnérables à une démence précoce et plus sévère, ainsi qu’à d’autres formes de déclin cognitif », explique-t-il.

À ce jour, aucune preuve directe ne relie l’usage de l’IA à la démence. Mais le danger, selon lui, est que si notre cerveau s’habitue à moins de défis mentaux, il devienne moins résilient à long terme.

Uniforme et ennuyeux

L’étude a aussi mis en lumière un effet plus subtil mais tout aussi préoccupant : la perte d’individualité et de créativité.

Les sujets proposés aux étudiants étaient des questions profondément humaines, comme : « La véritable loyauté implique-t-elle un soutien inconditionnel ? » ou bien « Les personnes plus favorisées ont-elles un devoir moral accru d’aider celles qui le sont moins ? »

Ces questions auraient dû susciter des réponses imprégnées d’expériences personnelles et de raisonnements originaux. Au lieu de cela, les textes rédigés avec l’IA révélaient une homogénéisation algorithmique. Les étudiants adoptaient inconsciemment des formulations, des structures de phrases et des perspectives similaires, gommant leur voix individuelle dans un moule prévisible.

« Ce n’est pas surprenant », commente le Pr. Graham, « car ces modèles reproduisent ce qu’ils trouvent dans la base de données sur laquelle ils ont été formés. C’est largement stéréotypé, ils réutilisent souvent les mêmes mots. »

Les enseignants d’anglais, chargés d’évaluer les textes à l’aveugle, ont décrit les rédactions générées par ChatGPT comme ayant « une maîtrise quasi parfaite de la langue et de la structure, mais manquant d’idées personnelles ou de positions claires ». Beaucoup leur ont paru « sans âme », les phrases étant creuses et les nuances personnelles absentes.

Cette uniformité soulève une question essentielle : en confiant nos mots à l’IA, ne lui confions pas aussi notre pensée ?

Une autonomie en péril

Penser est coûteux. Les tâches cognitives consomment une énergie neuronale importante, et notre cerveau cherche naturellement à économiser ses ressources quand une alternative existe.

Mais lorsque nous sollicitons instantanément l’IA pour nos tâches mentales, notre cerveau risque de s’habituer à devenir un simple consommateur passif de ses propres pensées.

Depuis des siècles, la capacité de penser de manière indépendante est considérée comme une condition fondamentale de la dignité humaine. Beaucoup affirment que l’autonomie repose sur la faculté de raisonner par soi-même.

Certains participants ont décrit un sentiment de « culpabilité » après avoir utilisé l’IA, même lorsque le résultat immédiat était meilleur. Cette culpabilité pourrait être le signe intuitif que quelque chose de précieux se perd dans l’échange. Pour beaucoup, utiliser ChatGPT « donne l’impression de tricher ».

Que devient notre autonomie quand le raisonnement lui-même devient un service acheté auprès d’algorithmes ? L’étude du MIT suggère que chaque requête qui nous simplifie la vie éteint un peu la flamme de notre créativité – et peut-être de notre capacité de raisonnement.

L’usage de l’IA est inévitable.

« Le train est déjà parti », constate le Pr. Graham. « Mais nous devons décider comment nous voulons qu’il roule. »

Il existe un bon moment, un bon contexte et un bon usage de l’IA dans l’écriture, souligne-t-il. Utilisée avec vigilance et intention, elle peut stimuler la productivité, voire nourrir la créativité. L’essentiel est d’encourager les étudiants et les utilisateurs à rester des penseurs critiques, à engager leur esprit en premier, et à considérer l’IA comme un outil – pas comme une béquille.

Makai Allbert est un journaliste spécialisé dans la santé, titulaire d\'une licence en sciences biomédicales et d\'une maîtrise en lettres. Il a mené des recherches biomédicales à l\'université du Maryland, collaboré à des projets d\'analyse de données avec la NASA et a été chercheur invité au Center for Hellenic Studies de l\'université Harvard. Son objectif est de fournir des informations bien documentées sur le journalisme de santé. Contactez Makai à l\'adresse makai.allbert@epochtimes.nyc

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