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Ce que la vie d’une femme de 117 ans peut - ou ne peut pas - nous apprendre sur le vieillissement

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Maria Branyas Morera en 2019 à l'âge de 112 ans.

Photo: crédit : Manel Esteller/Famille Maria Branyas via Eloy Santos

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Durée de lecture: 11 Min.

Voir un chiffre rouge sur un bilan sanguin peut donner un choc — et Maria Branyas Morera en a connu plusieurs. Son taux de cholestérol LDL dépassait le seuil recommandé, et ses analyses révélaient une usure génétique souvent associée aux maladies et au vieillissement.

Pourtant, elle est devenue la femme la plus âgée du monde, s’éteignant paisiblement dans son sommeil en août 2024 à l’âge de 117 ans — sans jamais avoir développé ni cancer, ni maladie cardiovasculaire, ni démence.

Son cas, publié dans la revue Cell Reports Medicine, offre l’un des portraits biologiques les plus complets jamais réalisés d’une supercentenaire. Et il remet en question notre manière d’interpréter les chiffres que nous cherchons souvent à corriger par des médicaments.

Les chiffres en rouge

Les chercheurs ne se sont pas arrêtés à un simple test de cholestérol. Lorsque Maria Branyas Morera avait 116 ans et 74 jours, ils ont mené une analyse multi-omique — sang, salive, selles et urine ont été passés au crible pour explorer ses gènes, protéines, métabolites et microbiotes, à la recherche d’indices sur sa longévité.

Sur le papier, les résultats semblaient préoccupants : son « mauvais » cholestérol (LDL) était légèrement élevé, ses télomères — les capuchons protecteurs des chromosomes qui se raccourcissent avec l’âge — étaient courts. Son sang contenait des mutations associées au cancer et aux maladies cardiaques, et son système immunitaire montrait des signes de déclin liés à l’âge.

Une photo de Maria Branyas Morera jeune femme en 1925. (Crédit : Manel Esteller/Maria Branyas via Eloy Santos)

Pourtant, rien de tout cela ne s’est traduit par une maladie. « C’était incroyable de voir à quel point elle raisonnait quand elle nous parlait et à quel point elle se souvenait des événements passés », a confié par e-mail à Epoch Times le Dr Eloy Santos, auteur principal de l’étude. À part des compléments protéinés pour prévenir la fonte musculaire, elle ne prenait aucun médicament.

Née à San Francisco en 1907, Maria Branyas Morera s’était installée en Catalogne, en Espagne, où l’espérance de vie moyenne des femmes est de 86 ans. Elle les a dépassées de trois décennies, dormant bien, suivant une alimentation méditerranéenne, jouant de la musique et restant proche de sa famille.

Une force cachée sous la surface

Certains de ses résultats révélaient une vigueur insoupçonnée. Ses mitochondries — les « centrales énergétiques » des cellules — produisaient de l’énergie de manière très efficace, comme celles d’une personne beaucoup plus jeune. Ses marqueurs d’inflammation, qui augmentent généralement avec l’âge, restaient étonnamment bas. Son microbiote intestinal était diversifié et « jeune », dominé par des bifidobactéries favorisées par le yaourt, l’huile d’olive, les œufs et le poisson. « Cette population bactérienne est associée à une faible inflammation et à une meilleure fonction immunitaire », précise le Dr Santos.

63 ans en 1970. (Crédit : Manel Esteller/Maria Branyas via Eloy Santos)

Ensemble, ces indices dressaient le portrait d’un organisme vieillissant de manière inégale — usé par endroits, mais globalement résilient. Son profil épigénétique, qui reflète l’expression des gènes plutôt que les gènes eux-mêmes, semblait 15 à 20 ans plus jeune que son âge réel.

Le Dr Santos parle d’une « dualité » : une santé étonnamment jeune coexistant avec des signes évidents d’usure. « C’était comme une très vieille voiture », dit-il — fonctionnant encore parfaitement à bien des égards, même si certaines pièces montraient inévitablement leur âge.

Une pièce d’une civilisation disparue

Que peut-on vraiment tirer d’un seul cas ? Richard Faragher, professeur de gérontologie biologique, compare le profil de Maria Branyas Morera à « une pièce d’une civilisation disparue » — un indice précieux, mais insuffisant pour expliquer toute « l’économie » du vieillissement.

Selon lui, les centenaires atteignent un âge extrême par l’une de trois voies : des gènes exceptionnels, la chance d’avoir survécu à ce qui tue les autres, ou une erreur dans la déclaration de leur âge.

« Ne prenez jamais de conseils santé auprès des centenaires », ajoute-t-il. Beaucoup ont fumé, évité les médecins ou mené des vies qui auraient ruiné la santé du commun des mortels. Ce sont des anomalies, comme ces rares soldats qui traversent le champ de bataille sans une égratignure.

Pourtant, le Dr Nick Norwitz, médecin formé à Harvard et docteur en métabolisme à Oxford, estime qu’une anomalie peut aussi être instructive. « Un cas ne peut pas prouver ce qui nous fait vivre plus longtemps, mais il peut remettre en cause ce que nous croyons savoir », confie-t-il à Epoch Times. Si des télomères longs étaient indispensables, ceux de Maria Branyas Morera, très courts, le contrediraient. Si un taux de LDL très bas était requis, son taux plus élevé ferait de même.

Les deux chercheurs insistent sur le contexte. La plupart des études sur les biomarqueurs se basent sur des populations malades. Sa longévité suggère que ce qui paraît risqué pour le patient moyen peut avoir peu d’importance chez une personne exceptionnellement saine. La génétique et le biais de survie permettent à certains d’échapper aux risques qui en affectent d’autres.

« La vraie question, ajoute le Dr Norwitz, c’est : qu’est-ce qui est fondamentalement important pour notre santé, et le système médical s’aligne-t-il sur cela — ou seulement sur les indicateurs que nous savons modifier par des médicaments ? »

De la fascination à l’action

Notre fascination pour des personnes comme Maria Branyas Morera en dit autant sur nous que sur elles. À chaque fois que quelqu’un dépasse 100 ans, nous posons les mêmes questions : que mangeait-elle ? Quel était son secret ? Nous cherchons une formule à suivre, un facteur unique à maîtriser.

« La plupart des gens diront que mourir est naturel. Mais au fond, personne ne veut vraiment avoir une date de péremption », observe le Dr Norwitz.

Maria Branyas Morera en 2023. (Crédit : Manel Esteller/Maria Branyas via Eloy Santos)

Des histoires comme celle de Maria Branyas Morera nous rappellent que les réponses que nous espérons ne racontent que rarement toute l’histoire. La longévité ne repose pas sur un chiffre unique ni sur l’imitation du régime d’une centenaire. Elle dépend de la solidité de l’ensemble de notre organisme — de sa résilience. Et cette résilience se construit, non par des raccourcis, mais par des habitudes accessibles :

• Le mouvement : Maria Branyas Morera est restée active jusque tard dans sa vie, jouant de la musique et gardant un rythme quotidien. Les études montrent qu’une activité physique régulière contribue à allonger l’espérance de vie.

• Le sommeil : elle dormait profondément, une habitude associée à la longévité. Selon une étude menée auprès de plus de 172.000 adultes, les bons dormeurs vivaient plus longtemps — près de cinq ans de plus pour les hommes, et environ deux ans et demi pour les femmes.

• L’alimentation : ses repas s’inspiraient du régime méditerranéen, riche en huile d’olive, yaourt, œufs et poisson. Ces aliments nourrissent le microbiote intestinal, qui, chez elle, paraissait bien plus jeune que son âge chronologique.

• Les liens sociaux : Maria Branyas Morera était entourée de sa famille. Des relations solides — qu’elles passent par la famille, la foi ou les associations — sont des prédicteurs de survie aussi puissants que le cholestérol ou la tension artérielle.

• La foi : des analyses d’avis de décès ont montré que les personnes ayant des liens religieux vivaient en moyenne de cinq à neuf ans de plus, en partie grâce au soutien communautaire, en partie grâce au sens et à la finalité donnés à la vie.

• L’optimisme : Maria Branyas Morera gardait un esprit positif, un trait associé à quelques années supplémentaires. Les recherches suggèrent que l’optimisme réduit les hormones du stress et l’inflammation, aidant le corps à mieux récupérer après une maladie.

Les 117 ans de Maria Branyas Morera n’ont révélé aucune clé magique de l’immortalité. Ils ont en revanche délivré un message essentiel : la santé ne se résume pas à des chiffres parfaits.

« Tout ne dépend pas de nos gènes, mais aussi de nos habitudes », conclut le Dr Santos. « Nous ne partageons peut-être pas ses variants génétiques, mais nous pouvons tous gagner des années de vie de qualité en adoptant des habitudes saines. »