Nouvelle nuit de violence meurtrière au Maroc : pour de meilleurs services publics et une priorité à la santé, la jeunesse marocaine poursuit son mouvement

Des membres des forces de sécurité arrêtent un manifestant lors d'une manifestation de jeunes à Rabat le 29 septembre 2025, appelant à des réformes dans les secteurs de la santé publique et de l'éducation.
Photo: ABDEL MAJID BZIOUAT/AFP via Getty Images
Le Maroc traverse une période de tensions inédites. Depuis samedi dernier, un collectif mystérieux baptisé GenZ 212 mobilise la jeunesse marocaine dans les rues. Derrière cet indicatif téléphonique devenu symbole de ralliement, plus de 150.000 membres coordonnent leurs actions via Discord. Les organisateurs, dont l’identité reste inconnue, se présentent comme des « jeunes libres » sans étiquette politique, animés par un objectif simple : obtenir de meilleurs services publics.
Le contraste est saisissant. Pendant que le royaume déploie des budgets colossaux pour accueillir la Coupe du monde 2030 et la CAN fin 2025 – construisant stades rutilants, lignes à grande vitesse et aéroports modernisés – des voix s’élèvent pour dénoncer l’état des hôpitaux et des écoles. « Nous ne voulons pas la Coupe du monde, la santé est prioritaire », scandent les manifestants, pointant du doigt les profondes inégalités entre secteurs public et privé.
Quand le drame sanitaire révèle la faille du système
Le déclencheur remonte à la mi-septembre. À Agadir, huit femmes enceintes décèdent à l’hôpital public après des césariennes. Ce drame sanitaire provoque une onde de choc nationale et déclenche des manifestations sporadiques qui s’étendent progressivement à d’autres villes. C’est sur ce terreau de colère et de désespoir que GenZ 212 émerge, structurant un mouvement jusqu’alors diffus en une force de mobilisation impressionnante.
Le collectif, composé de jeunes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, se décrit comme un « espace de discussion » consacré aux enjeux cruciaux : santé, éducation, lutte contre la corruption. Leur discours navigue sur une ligne délicate : ils affirment agir par « amour de la patrie et du roi » Mohammed VI tout en rejetant catégoriquement les partis politiques traditionnels.
La violence rattrape les manifestations pacifiques
Jeudi, pour leur sixième journée consécutive d’action, GenZ 212 a annoncé de nouvelles manifestations dans treize villes marocaines, prévues entre 17h et 20h. Le collectif martèle son engagement pour des rassemblements « pacifiques » et une « expression civilisée » des revendications. Ces assurances interviennent au lendemain d’événements dramatiques qui ont profondément marqué le mouvement.

Un garçon regarde un véhicule de police incendié lors d’une manifestation de jeunes réclamant des réformes dans les secteurs de la santé et de l’éducation à Sale, le 1er octobre 2025. (ABDEL MAJID BZIOUAT/AFP via Getty Images)
Mercredi soir à Lqliaâ, près d’Agadir, la situation a basculé dans l’horreur. Deux personnes ont trouvé la mort, abattues par des gendarmes alors qu’elles tentaient de prendre d’assaut une brigade locale. Les assaillants avaient incendié un véhicule et le bâtiment avant de chercher à s’emparer de « munitions et d’armes de service », selon les autorités. Il s’agit de l’incident le plus grave depuis le début de ces protestations d’un genre nouveau.
D’autres villes ont connu des actes de vandalisme. À Sidi Bibi, des bureaux municipaux ont été incendiés. À Salé, la ville jumelle de Rabat, des individus cagoulés ont mis le feu à deux véhicules de police et à une agence bancaire, sans même prendre la peine de scander des slogans.
Entre répression et ouverture, l’État hésite
Face à cette mobilisation, les autorités ont adopté une stratégie fluctuante. Mercredi soir marque un tournant : pour la première fois, les manifestations sont autorisées. Des centaines de jeunes défilent alors à Casablanca, Tanger et Tétouan derrière des banderoles réclamant « la fin de la corruption » et « Liberté, dignité et justice sociale ».

Des membres des forces de sécurité arrêtent un manifestant lors d’une manifestation de la jeunesse réclamant des réformes dans les secteurs de la santé et de l’éducation à Sale, le 1er octobre 2025. (ABDEL MAJID BZIOUAT/AFP via Getty Images)
Contraste saisissant avec la journée de mardi, où les rassemblements interdits avaient dégénéré en affrontements violents à Oujda et Inzegane. Le bilan était lourd : près de 300 blessés, essentiellement parmi les forces de l’ordre, et plus de 400 interpellations.
À Rabat, depuis samedi, des centaines de jeunes ont été arrêtés un par un avant d’être majoritairement relâchés, selon l’Association marocaine des droits humains. Toutefois, 134 personnes, dont six maintenues en détention, attendent leur comparution devant la justice.
« Nous avons enregistré malheureusement le décès de trois personnes »
Le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch a déploré jeudi le décès de trois personnes durant les violences inédites qui ont secoué mercredi soir plusieurs petites villes marocaines au cinquième jour de protestations pour de meilleurs systèmes éducatif et de santé. « Nous avons enregistré malheureusement le décès de trois personnes » après « les événements regrettables de ces deux derniers jours », a déclaré M. Akhannouch, dans sa première prise de parole depuis le début de manifestations à l’appel du collectif GenZ 212 samedi dernier.
Les trois personnes, dont l’identité n’a pas été communiquée, ont été tuées par des gendarmes « dans le cadre de la légitime défense » alors qu’elles tentaient « de prendre d’assaut » une brigade de la gendarmerie dans le sud du pays, a précisé Rachid El Khalfi, porte-parole du ministère de l’Intérieur. Un premier bilan faisait état de deux morts dans cet assaut
GenZ 212 rejette « toute forme de violence, de vandalisme ou d’émeute »
GenZ 212 tente désormais de reprendre le contrôle du récit en rejetant « toute forme de violence, de vandalisme ou d’émeute » et en exhortant ses sympathisants à maintenir le caractère pacifique du mouvement. Reste à savoir si ce collectif anonyme parviendra à canaliser la colère sociale tout en maintenant la pression sur un pouvoir confronté à des demandes aussi légitimes que pressantes.
Avec AFP

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