Maroc : deux ans et demi de prison ferme confirmée pour Ibtissame Lachgar, militante féministe accusée de blasphème

Des amis et des sympathisants de la psychologue clinicienne et militante Ibtissame Lachgar, 50 ans, jugée pour « offense à l'islam », arrivent au palais de justice de Rabat le 3 septembre 2025.
Photo: ABDEL MAJID BZIOUAT/AFP via Getty Images
La justice marocaine a tranché lundi à Rabat : Ibtissame Lachgar, figure emblématique du féminisme au royaume, devra purger deux ans et demi de prison ferme. La cour d’appel a maintenu la sentence prononcée en première instance contre cette militante de 50 ans, poursuivie pour « atteinte à l’islam ». Une décision qui ravive les débats sur les limites de la liberté d’expression dans le pays.
Tout commence cet été sur les réseaux sociaux. Ibtissame Lachgar publie une photo d’elle portant un t-shirt provocateur : le mot « Allah » suivi de l’expression anglaise « is lesbian ». Accompagnant cette image, un texte sans détour qualifie l’islam, « comme toute idéologie religieuse », de « fasciste, phallocrate et misogyne ».
La publication enflamme immédiatement la toile. Entre appels à son arrestation et menaces effrayantes de viol ou de lapidation, la militante devient la cible d’une vague de haine numérique. Les autorités ne tardent pas à intervenir, procédant à son interpellation durant l’été.
« Un jour noir pour la liberté »
Dans la salle d’audience, l’atmosphère est lourde d’émotion. Lorsque le verdict tombe, Sihar Lachgar, l’une des sœurs de la militante, fond en larmes. L’avocate Maître Ghizlane Mamouni ne cache pas sa consternation : « C’est un jour noir pour la liberté au Maroc », lance-t-elle d’une voix brisée, dénonçant un « désastre » judiciaire.
La défense annonce immédiatement son intention de déposer un pourvoi en cassation et de solliciter un aménagement de peine. L’objectif : transformer l’incarcération en sanction alternative, comme le bracelet électronique ou les travaux d’intérêt général.
Une santé fragile derrière les barreaux
L’état physique d’Ibtissame Lachgar inquiète profondément ses soutiens. Apparaissant affaiblie à l’audience, le bras gauche immobilisé dans une attèle, la militante est en rémission d’un cancer. Elle doit subir une opération au bras sous peine d’amputation.
« Elle n’a commis aucun crime dangereux et n’est pas dangereuse pour la société. Elle n’a fait que s’exprimer », plaide Maître Mamouni, insistant sur l’éligibilité de sa cliente aux peines alternatives. L’avocate redoute une aggravation de son état de santé en milieu carcéral.
Quand la loi sanctionne l’opinion
Le représentant du Parquet a adopté une position encore plus sévère lors de l’audience, réclamant un alourdissement de la peine. Il évoque une « atteinte à l’ordre public et à la quiétude spirituelle des Marocains ». Au final, outre l’emprisonnement, une amende de 5 000 euros vient s’ajouter au verdict pour « atteinte à la religion islamique ».
L’article 267-5 du Code pénal marocain constitue le fondement juridique de cette condamnation. Il prévoit de six mois à deux ans de prison pour « quiconque porte atteinte à la religion musulmane ». Cette peine peut grimper jusqu’à cinq ans lorsque l’infraction est commise publiquement, notamment par voie électronique.
Un slogan féministe devenu accusation
À la barre, Ibtissame Lachgar a réaffirmé son innocence avec fermeté. La psychologue clinicienne nie toute volonté d’offenser la religion. Elle rappelle que son t-shirt reprend un slogan féministe existant de longue date, créé pour dénoncer le sexisme et les violences contre les femmes.
Mobilisation pour les libertés individuelles
Hakim Sikouk, président de la section rabatie de l’Association marocaine des droits humains, dénonce une atteinte flagrante à la liberté d’expression : « Elle a exprimé une opinion, on peut être d’accord avec elle ou non », mais cette « lourde condamnation » est disproportionnée.
Human Rights Watch avait déjà alerté mi-septembre, exigeant l’annulation de la peine et qualifiant le jugement de « coup dur à la liberté d’expression au Maroc ».
Un parcours militant sous surveillance
Cofondatrice en 2009 du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), Ibtissame « Betty » Lachgar s’est distinguée par de nombreuses campagnes médiatiques. Son combat contre les violences faites aux femmes et la pédocriminalité lui a valu reconnaissance et controverses dans un royaume où les questions sociétales demeurent hautement sensibles.
Cette affaire cristallise désormais les tensions entre militantisme progressiste et cadre légal conservateur au Maroc.
Avec Afp

Articles actuels de l’auteur









