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Histoire navale

Dans les profondeurs de Pearl Harbor

À 103 ans, Ken Hartle n’évoque qu’à demi-mot les plongées qui ont marqué sa vie : celles menées dans les entrailles des cuirassés coulés, pour récupérer les corps des marins après l’attaque du 7 décembre 1941.

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Durée de lecture: 8 Min.

À 103 ans bien sonnés, Ken Hartle ne sait plus combien de fois il a défié la mort. Il aime raconter ces épisodes : morsures de crotales, piqûres de scorpions, accidents de voile, collisions automobiles, fractures multiples, cancers du côlon et de la prostate, et même un pontage coronarien sextuple.

Il existe pourtant un souvenir qu’il évite de partager : ses plongées éprouvantes pour récupérer les corps des marins morts à Pearl Harbor.

L’attaque

À 6 h 45, le 7 décembre 1941, l’USS Antares repère un sous-marin japonais et alerte le destroyer USS Ward, qui patrouille à l’entrée de Pearl Harbor. Le Ward attaque et coule le sous-marin.

Le rapport parvient au commandement, mais aucune alerte n’est déclenchée. À 7 h 15, les radars d’Oahu détectent un important vol d’avions en direction d’Honolulu. L’assaut aérien japonais qui arrive est pris pour une formation de B-17 de retour, et les opérateurs radar reçoivent l’ordre de ne pas s’inquiéter.

L’USS Arizona est attaqué. (Domaine public)

À 7 h 55, l’attaque commence. Totalement pris de court, l’USS Oklahoma et l’USS Arizona sombrent en moins de vingt minutes. Une bombe perforante japonaise enflamme la soute à poudre de l’Arizona, provoquant une explosion assez puissante pour soulever le navire et le briser en deux.

La flotte ayant été déplacée récemment de Californie vers Pearl Harbor, la majorité de l’équipage de l’Arizona se trouve à bord pour assurer la disponibilité opérationnelle. Comme les deux navires n’étaient pas au complet au moment de l’attaque, 429 des 1 353 membres d’équipage de l’USS Oklahoma et 1177 des quelque 1500 membres d’équipage de l’USS Arizona ont péri.

À 8 h 55, une seconde vague d’avions japonais arrive, accueillie cette fois par une défense plus nourrie. L’attaque se poursuit jusqu’à 9 h 45, et avant même que le dernier appareil japonais ne s’éloigne, des plongeurs de sauvetage sont déjà à l’eau. Les Japonais estiment que leur opération rendrait la flotte américaine inopérante pendant six mois. Ils sous-estiment largement la rapidité avec laquelle 18 des 21 navires touchés seraient remis à flot.

Ken Hartle se prépare pour une plongée. (Domaine public)

L’appel aux armes

Le chantier naval de Mare Island, à Vallejo (Californie), reçoit les premières nouvelles de l’attaque. Plus ancien chantier naval du Pacifique de la marine américaine, il devient ensuite un port sous-marin crucial et l’un des plus vastes complexes de construction navale au monde. C’est aussi là que Ken Hartle travaille comme charpentier naval civil.

Ken Hartle en uniforme. (Domaine public)

Désireux de s’engager, il se voit d’abord refuser ce droit, jugé trop indispensable. Au cours des quatre années suivantes, les équipes civiles de Mare Island réparent plus de 1200 bâtiments ; 17 sous-marins et 31 escorteurs de destroyers y sont aussi construits. Parmi ces navires figurent plusieurs bâtiments endommagés à Pearl Harbor, ainsi que l’USS Indianapolis, qui transportera la première bombe atomique vers Hiroshima.

Ken Hartle reste déterminé. Il prend de longues vacances, contraignant constamment ses supérieurs à le remplacer ; le message passe, et il est finalement autorisé à s’enrôler. Après son instruction au Camp Perry, en Virginie, il est envoyé à Gulf Port, dans le Mississippi, au sein du 105e bataillon de construction navale — les « Seabees ».

Lorsque circule l’information que la marine américaine recherche des plongeurs de sauvetage, il se porte aussitôt volontaire. Jusqu’alors, il ne possède qu’une expérience de plongée loisir avec des amis.

Ken Hartle (2e à g.) aide un autre plongeur à s’équiper. (Domaine public)

L’équipement

Envoyé s’entraîner à New York, Ken découvre une tenue de plongée plus lourde que lui de 18 kg. Par-dessus la combinaison et les gants en caoutchouc, un harnais de plomb de 38 kg, des bottes de 16 kg chacune, et un casque et plastron en cuivre de 25 kg complètent l’ensemble.

Fixé au casque, un tuyau achemine un mélange d’oxygène et d’hélium. Depuis 1924, la marine américaine utilise ce mélange qui permet de rester plus longtemps en profondeur, sans altération cognitive et avec des paliers de décompression raccourcis. La plongée la plus profonde de Ken le mène à 88 mètres.

Les plongeurs doivent se préparer à évoluer dans des eaux complètement obscures et au milieu d’un dédale de métal et de débris. Ils mémorisent les plans des navires pour s’orienter dans le noir, puis se mettent à leur tâche.

Ils communiquent avec la surface par téléphone, via des câbles intégrés à leurs casques. Ils soudent et colmatent les brèches pour renflouer les cuirassés, transportent des torpilles non explosées, et récupèrent les corps de soldats piégés dans les épaves.

Les conditions sont si dangereuses que de nombreux plongeurs y laissent la vie, au point que les recherches de corps finissent par être interrompues. L’USS Arizona est tellement endommagé que seuls les canons de deux tourelles, ainsi que le mât et la superstructure destinés à la ferraille, sont retirés. Sur les 1177 membres d’équipage morts, un peu plus d’une centaine peuvent être identifiés. Le navire est conservé comme mémorial, où près de mille marins demeurent ensevelis.

La « Greatest Generation »

Le bilan de Pearl Harbor atteint 2400 morts et un millier de blessés, près de vingt bâtiments de la flotte étant détruits. Les pertes japonaises s’élèvent à 129 morts, un prisonnier, 29 avions et cinq sous-marins de poche. L’attaque ne parvient cependant pas à atteindre son objectif stratégique : paralyser la marine américaine.

Devant le succès spectaculaire des opérations de sauvetage dès les deux premiers mois, les Japonais tentent en mars 1942 une seconde attaque qui se solde par un échec total.

À la fin des opérations, les plongeurs de la marine comptabilisent 4000 plongées pour un total de 16.000 heures passées sous l’eau ; ils remettent en état 18 des 21 navires coulés.

Après Pearl Harbor, Ken Hartle poursuit ses missions de plongée à Eniwetok et aux Philippines jusqu’à sa démobilisation, en décembre 1945. De toutes ses histoires préférées, celle qu’il raconte avec le plus de fierté reste son service dans la marine américaine.

Lorsqu’il s’éteint en janvier 2017, il est le plus âgé des anciens plongeurs de sauvetage de la Seconde Guerre mondiale.

Bryan Dahl est auteur-compositeur-interprète. Il a chanté pour des compagnies d'opéra à Los Angeles, Chicago et à travers l'Europe. Ses critiques musicales ont mis en lumière des artistes de l'Opéra de Los Angeles et du San Diego Master Chorale. Il vit actuellement à San Diego.

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