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Opinion

En finir avec la déconstruction

La disparition de l’architecte Frank Gehry relance un débat bien plus large que son œuvre : celui d’un siècle d’art fondé sur la rupture, la provocation et la disorientation. Ses bâtiments spectaculaires, souvent difficiles à vivre et à entretenir, incarnent une esthétique qui privilégie le geste intellectuel plutôt que la beauté ou l’usage.

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L’architecte Frank O. Gehry lors d’une interview à propos de son projet pour le Lou Ruvo Alzheimer’s Institute, à Las Vegas, le 11 février 2006. Ethan Miller/Getty Images

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Durée de lecture: 4 Min.

Depuis la Première Guerre mondiale, une grande partie de la création occidentale — architecture, musique, peinture, design — a adopté la démolition des formes, le scepticisme envers le passé et une certaine fascination pour le chaos. La « déconstruction » est devenue le credo culturel, souvent appuyé par un discours élitiste exigeant que le public admire ce qui, de fait, le déroute ou l’enlaidit.

Mais ce cycle touche à sa fin : on ne peut détruire indéfiniment. Les réactions à l’incendie de Notre-Dame ou à certains projets officiels montrent un désir croissant de renouer avec la tradition, l’harmonie, le sens.

Après un siècle de remise en cause permanente, il est peut-être temps de revenir à l’essentiel : reconstruire, redonner une place à la beauté, et réapprendre à bâtir plutôt qu’à déconstruire.

La mort du célèbre architecte, à 96 ans, a déclenché une avalanche d’hommages et de photos de ses œuvres : le musée Guggenheim de Bilbao, le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, la Fondation Louis Vuitton à Paris, la Dancing House de Prague, le Museum of Pop Culture à Seattle, entre autres. Certaines de ces réalisations frappent par leur audace, d’autres intriguent, d’autres encore séduisent moins. Rien, toutefois, ne semble atteindre la majesté ou l’aspiration universelle des cathédrales médiévales ou des gratte-ciel du siècle dernier.

L’approche de Gehry consistait à créer des bâtiments déroutants, volontairement inclassables, presque en rupture avec l’idée d’un ordre commun ou d’une beauté partagée. Ce sont des édifices peu pratiques, éloignés de tout critère traditionnel de beauté ou de fonctionnalité. Leur objectif semble être de mettre en avant le génie de leur architecte et la philosophie qui l’accompagne.

N’est-il pas temps de cesser de désorienter pour réapprendre à orienter ? De renoncer à la déconstruction permanente pour renouer avec la construction ? D’abandonner le postmodernisme au profit de la sagesse héritée ? D’en finir avec ce nihilisme affiché qui sape l’art comme la vie publique, et retrouver une forme de croyance dans ce qui a du sens ?

L’idée selon laquelle le passé serait irrémédiablement problématique et que seuls les intellectuels tournés vers l’avenir devraient guider le monde a fini par lasser.

Cette dynamique de destruction des repères — dans les arts comme dans les sciences — dure depuis plus d’un siècle. Elle s’est imposée après la Première Guerre mondiale, qui a brisé les illusions du progrès continu et traumatisé une génération entière. La culture occidentale a alors intégré la démoralisation et la dislocation comme thèmes : on les entend dans la musique dite savante, on les voit dans l’architecture, on les lit dans l’art, on les porte dans les vêtements.

La Seconde Guerre mondiale a amplifié cette rupture. L’idéologie du progrès a cédé la place à la déconstruction, puis au postmodernisme, empreint de scepticisme radical envers Dieu, la beauté, la communauté, la famille, la morale. Les arts ont intégré ce vide : une laideur assumée, accompagnée d’un discours intellectuel visant à expliquer pourquoi il fallait l’aimer.

Le public, lui, se retrouvait devant des musées incompréhensibles, des sculptures publiques austères, des concerts dont la seconde partie relevait de la cacophonie, des fresques imposant un message politique agressif. Et toujours un critique pour rappeler que l’appréciation était obligatoire pour qui voulait passer pour cultivé.

Mais cette logique revient à détruire sans rien proposer de durable.

On peut rendre hommage aux artistes postmodernes disparus. Mais il est temps de reconnaître que ce moment fut une erreur collective. Le moment est venu de réapprendre à construire, et non plus à démolir, la civilisation.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Jeffrey Tucker est le fondateur et le président de l'Institut Brownstone. Il est l'auteur de cinq livres, dont : "Right-Wing Collectivism : The Other Threat to Liberty." (Collectivisme de droite : l'autre menace pour la liberté).

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