Thomas Legrand se retire de son émission sur France Inter après la polémique sur ses propos visant Rachida Dati

Thomas Legrand, figure emblématique de France Inter et éditorialiste à Libération, a annoncé mardi qu'il renonçait à son émission dominicale sur la radio publique, quelques jours après avoir été suspendu à titre conservatoire. Cette décision intervient dans le sillage d'une polémique majeure née de propos compromettants tenus sur Rachida Dati.
Photo: : JOEL SAGET/AFP via Getty Images
Le journaliste Thomas Legrand, figure emblématique de France Inter et éditorialiste à Libération, a annoncé mardi qu’il renonçait à son émission dominicale sur la radio publique, quelques jours après avoir été suspendu à titre conservatoire. Cette décision intervient dans le sillage d’une polémique majeure née de propos compromettants tenus sur Rachida Dati et révélés dans une vidéo diffusée par le média conservateur L’Incorrect. France Inter avait décidé vendredi de suspendre le chroniqueur « à titre conservatoire » pour « protéger l’antenne et le travail des journalistes de la rédaction de tout discrédit ».
Une suspension préventive avant le retrait volontaire
« J’ai annoncé ce matin à la direction de France Inter qu’il m’est désormais impossible d’assurer sereinement le débat hebdomadaire prévu dans la nouvelle grille », a écrit Thomas Legrand mardi sur le réseau social X. Cette décision fait suite à une suspension imposée par la direction vendredi dernier, une mesure sans précédent pour la station publique face à l’ampleur de la controverse.
La direction de France Inter a confirmé son retrait définitif de l’émission dominicale qu’il n’avait animée qu’une seule fois depuis la rentrée, tout en précisant qu’il continuerait d’intervenir ponctuellement « au même titre que d’autres éditorialistes extérieurs ». Cette formule diplomatique masque mal l’embarras de la station face à une affaire qui ébranle sa crédibilité.
Une vidéo qui révèle les coulisses du journalisme politique
La crise a éclaté vendredi lorsque L’Incorrect a diffusé une vidéo tournée en juillet dans un restaurant parisien du VIIe arrondissement. On y voit Thomas Legrand et Patrick Cohen, autre voix de France Inter et chroniqueur de l’émission C à Vous sur France 5, attablés avec deux responsables socialistes : Pierre Jouvet, secrétaire général du PS, et Luc Broussy, président du conseil national du parti.
La conversation, captée à leur insu, porte sur la stratégie de la gauche en vue de la présidentielle de 2027. À un moment, Thomas Legrand lâche : « Nous, on fait ce qu’il faut pour (Rachida) Dati, Patrick (Cohen) et moi ». Cette formule ambiguë a été interprétée comme le signe d’un parti pris assumé contre la ministre de la Culture, investie par Les Républicains pour la mairie de Paris en 2026.
La riposte de Rachida Dati et l’embrasement politique
La principale intéressée a réagi dès vendredi soir avec une vigueur inhabituelle. Dans un message publié sur X, Rachida Dati a dénoncé des « propos graves et contraires à la déontologie journalistique », exigeant des sanctions contre les deux chroniqueurs. Elle y a vu la preuve d’une hostilité organisée de journalistes du service public à son encontre, à l’approche d’une échéance municipale cruciale.
L’affaire a rapidement pris une dimension nationale. Du Rassemblement national à La France insoumise, en passant par Les Républicains, les critiques se sont multipliées contre ce qui a été dénoncé comme une « mafia médiatico-politique ». Sébastien Chenu, député et vice-président du RN, a saisi la procureure de Paris, évoquant de possibles « manquements graves à la neutralité du service public » susceptibles de relever de la « prise illégale d’intérêts » et du « trafic d’influence ».
La contre-offensive judiciaire des journalistes
Confrontés à cette tempête médiatique, Thomas Legrand et Patrick Cohen ont défendu samedi leur impartialité et annoncé porter plainte. Ils dénoncent un enregistrement « complètement manipulatoire », constitué selon eux de « bouts de phrase » sortis de leur contexte. Les deux journalistes rappellent que le code pénal interdit tout enregistrement audio ou vidéo sans le consentement des personnes concernées, sauf décision de justice.
Thomas Legrand a tenté de minimiser la portée de ses propos en expliquant : « Mon travail est de combattre les mensonges de Mme Dati et son attitude face à la presse. Je ne la combats pas politiquement ». Cette distinction subtile n’a pas convaincu ses détracteurs, qui y voient une tentative de justification a posteriori.
Le malaise du Parti socialiste
Embarrassé par cette révélation, le Parti socialiste a rapidement pris ses distances. Dans un communiqué laconique, il a affirmé qu' »aucune collusion n’existe entre le PS et les journalistes quels qu’ils soient », qualifiant l’affaire de polémique « artificiellement gonflée ». Les responsables socialistes filmés à leur insu se sont gardés de tout commentaire supplémentaire, préférant laisser retomber la pression.
Cette réaction mesurée trahit néanmoins l’embarras d’un parti déjà fragilisé, confronté à des accusations de connivence avec certains journalistes influents. L’affaire alimente les soupçons récurrents sur les liens entre médias de gauche et formations politiques progressistes.
France Inter dans la tourmente
Pour la direction de France Inter, cette crise survient au pire moment. La directrice Adèle van Reeth a justifié dans un mail interne la décision de suspension par la volonté de préserver l’image de la station. Régulièrement accusée de proximité idéologique avec la gauche, la radio publique tente de limiter les dégâts d’une affaire qui fragilise sa réputation d’impartialité.
La station phare de Radio France perd ainsi l’un de ses rendez-vous politiques phares de la rentrée, dans un contexte déjà tendu pour les médias publics. Cette séquence intervient alors que l’audiovisuel public fait face à des interrogations sur son financement et son indépendance.
Un précédent inquiétant pour la profession
Au-delà du cas individuel, cette affaire relance le débat sur les limites de la neutralité journalistique et sur la frontière entre vie privée et activité professionnelle. L’Incorrect, le média à l’origine de la révélation, se défend en rappelant avoir d’abord publié « un article écrit avec recontextualisation, retranscription et vérification des faits » avant de diffuser la vidéo face aux accusations de « fake news ».
La diffusion d’un enregistrement clandestin soulève des questions juridiques complexes, mais les propos tenus, même en privé, interrogent sur les standards déontologiques attendus des éditorialistes influents. Cette séquence pourrait créer un précédent inquiétant, où la vie privée des journalistes devient un enjeu de combat politique.
L’avenir incertain d’une figure médiatique
Pour Thomas Legrand, cette affaire marque un tournant brutal dans une carrière de plus de vingt ans consacrée à l’analyse politique. Bien qu’il conserve une voix à l’antenne de France Inter, il sort considérablement affaibli de cette séquence. Son statut d’éditorialiste reconnu, forgé par des années de chroniques quotidiennes, se trouve remis en question par une phrase malheureuse captée dans l’intimité d’un déjeuner parisien.
L’affaire Thomas Legrand illustre la fragilité croissante des journalistes politiques, pris entre l’exigence de neutralité du service public et la réalité d’un métier qui suppose des contacts permanents avec le monde politique.

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