Mediawan-Matthieu Pigasse : le milliard d’euros de production de l’audiovisuel public finance-t-il des producteurs militants ?
Le rapporteur de la commission d’enquête sur l’audiovisuel public, le député Charles Alloncle, met en cause les liens entre le service public et certains producteurs privés engagés politiquement, dans une interview sur Radio courtoisie. Il dénonce cette dérive qu’il présente comme une rupture des principes de neutralité.

Charles Alloncle, rapporteur de la commission d’enquête sur l’audiovisuel public, à l'Assemblée le 10 juin 2025.
Photo: GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP via Getty Images
La commission d’enquête parlementaire sur « la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public » doit débuter ses travaux le 25 novembre. Elle s’annonce comme un moment de vérité pour le secteur.
« Regarder comment est utilisé l’argent des Français »
Charles Alloncle, député de l’Hérault (Union des droites pour la République), souligne sur LCP qu’il s’agit « de la première fois que l’Assemblée nationale s’intéresse à l’audiovisuel public dans le cadre d’une commission d’enquête ». Il insiste sur un contexte de défiance et de contraintes budgétaires : « Il est normal que les députés regardent comment est utilisé l’argent des Français », estime‑t‑il, jugeant un secteur « trop sanctuarisé » qui doit désormais « rendre des comptes ». Il a été confirmé rapporteur lors de la composition du bureau de la commission, dans le sillage d’un rapport sévère de la Cour des comptes pointant 81 millions d’euros de déficit supplémentaire pour France Télévisions entre 2017 et 2024.
La commission va s’attaquer « aux gabegies financiers relevés ces dernières années », citant notamment les quelque 700 millions d’euros consacrés à la rénovation de la Maison de la Radio, « des frais de cocktails et de réception conséquents, la location de suites d’hôtel onéreuse », rapporte Europe 1. Charles Alloncle s’interroge sur l’absence de comptabilité fine – « insuffisance, négligence ou volonté de masquer certains coûts avec des lignes éditoriales marquées ? » – et appelle à mettre en place « rapidement » un cadre budgétaire et comptable, rappelant qu’il avait été promis dès 2015 par Delphine Ernotte.
Un milliard de production et Mediawan « premier bénéficiaire »
Au‑delà des chiffres, le rapporteur avance sur un terrain plus politique. Sur Radio Courtoisie, il s’attarde sur le budget de production de France Télévisions. « Le budget de France Télévisions sur la production, c’est à peu près 1 milliard d’euros par an d’argent du contribuable qui est attribué pour financer des entreprises de production », explique‑t‑il. Parmi ces sociétés, il cite Mediawan comme « la première à bénéficier de l’argent public ».
Il rappelle que Mediawan appartient à Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre‑Antoine Capton. « Ces personnes ont un agenda politique. Ils ne le cachent pas », affirme‑t‑il. Il décrit ainsi un système où des producteurs privés, fortement impliqués dans la vie politique ou idéologique, occupent une place centrale dans l’offre de programmes du service public, en particulier sur France 2.
Le cas de Matthieu Pigasse sur le plateau de France 2
Le député de l’Hérault prend un exemple précis. Il évoque une récente émission animée par Caroline Roux, diffusée en prime time sur France 2. Matthieu Pigasse y est invité, présenté comme un « simple chef d’entreprise » à la tête de Mediawan, qui produit de nombreuses émissions du service public (dont l’émission C dans l’air sur France 5, présentée par Caroline Roux ndlr). Selon le député, le producteur a disposé d’« une tribune pendant une vingtaine de minutes » pour expliquer que le Rassemblement national serait « un parti qui pourchassait les homosexuels » et « les étrangers », sans contradicteur en face de lui.
Le rapporteur reproche à la journaliste de ne pas avoir, « a minima », informé le public de deux éléments : le fait que Matthieu Pigasse « touche des centaines de millions d’euros par an pour produire les émissions du service public », et son engagement politique. Il rappelle que ce dernier avait fait la une de Libération quelques mois plus tôt, en promettant de mettre « tous les moyens » dont il dispose, « y compris des moyens médiatiques », au service de la lutte contre l’extrême droite. Pour Charles Alloncle, cet exemple illustre un possible mélange des genres entre intérêt économique, production de programmes et engagement militant.
« Mettre les médias que je contrôle dans ce combat »
Matthieu Pigasse, le dirigeant des Inrockuptibles et de Radio Nova et actionnaire du Monde et du HuffPost, ne cache pas ses positions. Dans un entretien à Libération cité par Le Point, il dit vouloir « mettre les médias que [il] contrôle dans ce combat, au service d’une conception ouverte du monde, progressiste ». Il y dénonce une « polarisation extrême entre deux conceptions du monde », l’une « ouverte et progressiste », l’autre « fermée », fondée selon lui sur la fermeture des frontières et portée par la « droite radicale ».

Matthieu Pigasse, président de l’association Territoire de Musiques qui organise le festival de musique rock et pop Eurockéennes de Belfort, aux Eurockéennes le 2 juillet 2023. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP via Getty Images)
Dans une tribune au Monde, intitulée La République ou la honte, il a pris position une nouvelle fois contre le Rassemblement National. Il affirme que « voter Marine Le Pen, c’est voter contre la République » et qualifie le Rassemblement national de « parti d’extrême droite », dont l’arrivée au pouvoir serait, selon lui, « un désastre pour la France ». Son engagement politique s’inscrit dans la durée. Ancien associé‑gérant puis directeur général délégué de Lazard Frères à Paris, président des Eurockéennes de Belfort, il a appelé, en juin 2024, sur France Info, à voter pour « le Nouveau Front populaire », selon L’Est Républicain. Il avait déjà indiqué avoir voté Jean‑Luc Mélenchon en 2017.
Une commission au croisement des enjeux budgétaires et de neutralité
Pour Charles Alloncle, ces prises de position, conjuguées au poids de Mediawan dans les commandes de France Télévisions, posent la question de la neutralité du service public. Il estime qu’il existe une « rupture fondamentale avec ses principes légaux » lorsque des moyens financés par l’impôt servent, selon lui, un combat politique clairement assumé. La commission d’enquête doit, à ses yeux, permettre de clarifier ces liens, de vérifier l’usage des fonds publics et de s’assurer du respect des règles de pluralisme.
Entre dérive des coûts, promesses de réforme budgétaire non tenues et rôle croissant de producteurs idéologiquement engagés, le chantier annoncé est vaste. Le rapporteur promet de « faire rendre des comptes » aux dirigeants du secteur, dans un moment où la pression sur les finances publiques et les interrogations sur l’indépendance éditoriale des médias n’ont jamais été aussi fortes.
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